Voici l’interview que j’ai donnée à Libération le 27 mai en tant que député européen. Vous la retrouverez également sur le site de Libération.
C’est un rescapé. Elu dimanche dans la grande région Ouest, Emmanuel Maurel, l’un des porte-voix de l’aile gauche du Parti socialiste, appelle la gauche à «arrêter d’être obsédée par une logique comptable de l’économie».
Comment la gauche en est-elle arrivée là ?
J’y vois trois raisons… La première est démocratique. Les gens ont le sentiment que leurs dirigeants n’ont plus aucune prise et qu’ils ont renoncé à changer le monde. Cela touche d’autant plus la gauche qu’elle soulève, à chaque fois qu’elle est élue, un espoir bien plus grand. On attendait François Hollande sur la régulation de la finance et de la mondialisation. Il n’y a pas eu de traduction concrète de ce qu’il avait annoncé dans sa campagne. La deuxième raison réside dans l’indifférenciation droite-gauche qui désoriente l’électorat populaire. La troisième est géographique : le score du Front national augmente à mesure qu’on s’éloigne des centres urbains. Là où le sentiment de relégation est fort, où les gens se sentent délaissés, où les services publics sont absents ou fonctionnent mal. Il faut des politiques publiques différentes… mais cela nécessite de l’argent. Arrêtons d’être obsédés par une logique comptable de l’économie.
C’est-à-dire ?
Il faut tout changer. N’ayons plus les yeux rivés sur nos déficits et le niveau de l’inflation. Prenons des mesures ambitieuses sur le pouvoir d’achat et la relance de notre économie. François Hollande doit également s’attaquer – comme il l’a promis – à la réorientation de l’UE, au refus de cette Europe de la compétition.
Il vous est souvent rétorqué qu’on ne peut dépenser l’argent qu’on n’a pas…
C’est un argument employé pour justifier l’immobilisme. S’endetter, c’est aussi investir et préparer le futur de notre pays ! Je le répète : il faut sortir d’une logique comptable de la politique et de l’économie, avoir une vision dynamique.
A entendre ses responsables, depuis dimanche soir, ce n’est pas le chemin que prend le gouvernement…
On est dans le déni et l’aveuglement. On nous explique qu’il faut continuer comme avant, plus vite, plus fort… Il y a de quoi s’inquiéter, on a tout de même réalisé le plus mauvais score de l’histoire du parti d’Epinay ! Ne pas prendre de réformes radicales, c’est d’une irresponsabilité inquiétante. S’arc-bouter sur des principes comme celui des 3% [de déficit public], cela relève du dogmatisme. Lorsqu’on commence à avoir plus peur des marchés que de la colère du peuple, il ne faut pas s’étonner d’être ensuite sanctionné.
Le problème ne serait qu’économique ?
Il est aussi institutionnel. La Ve République est à bout de souffle. Le seul message envoyé par l’exécutif au législatif est de rester bien sagement debout, le petit doigt sur la couture du pantalon. On ne peut plus fonctionner comme ça. Il faut donner plus de pouvoir au Parlement, laisser plus de libertés au parti majoritaire. Offrir des espaces à la démocratie directe et participative. Et, pour les socialistes, avoir en tête le rassemblement de la gauche.
Comment ?
On ne pourra pas le faire sans changer d’abord d’orientation économique. Et je suis sûr que la majorité des adhérents et sympathisants du Parti socialiste sont eux aussi pour une réorientation de la politique gouvernementale. Il faut qu’ils puissent aujourd’hui s’exprimer.
C’est une manière de réclamer un congrès ?
Au-delà de l’exigence d’un congrès, il faut que les militants aient davantage la parole, qu’ils puissent être acteurs, y compris peser sur les décisions prises par le gouvernement. Qu’ils soient associés à la politique gouvernementale. La force du PS, ce sont ses militants, qui se sont mobilisés et battus durant cette campagne. Il faut les respecter.
Recueilli par Lilian Alemagna