Vous avez dit « populisme»?

lopinion

Effarante mais pas étonnante, la victoire de Donald Trump inspire des commentaires innombrables. Face à un mouvement de fond qui touche, peu ou prou, toutes les démocraties occidentales, chacun d’entre nous cherche des explications et, plus rarement, des solutions (les secondes requérant plus d’imagination et d’audace que les premières).

A chaque chose malheur est bon : nous avons au moins, depuis mardi dernier, l’opportunité de lire une multitude d’analyses, souvent éclairantes, mais aussi de redécouvrir de belles citations exhumées pour l’occasion. Dans le trio de tête Gramsci, Brecht, et surtout le grand Bossuet, qu’on ne lit plus mais dont on aime à rappeler la formule géniale selon laquelle « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Et puis, comme toujours pour rendre compte d’une situation qui nous échappe ou nous inquiète (ou les deux), fleurissent les qualificatifs incontournables, les concepts pratiques, les mots passe-partout, dont, finalement, la récurrence rassure. Vainqueur toute catégorie au lendemain du scrutin américain : le « populisme ». Le populisme aujourd’hui, c’est comme le poumon du Malade Imaginaire. Tout y prend sa source et tout y ramène. Mais, à la différence de la scène de Molière, le populisme est ici tantôt la cause, tantôt la conséquence, tantôt les deux. Trump, le Brexit, la progression du FN, celle de Melenchon, Bepe Grillo, Podemos, Syriza, Orban, l’opposition aux traités transatlantiques : tout ça, c’est du populisme !

Le mot claque aujourd’hui comme une injure : cela n’a pas toujours été le cas. La grande majorité des dictionnaires en propose une définition neutre, voire positive. Il faut dire que le terme, relativement récent (le dictionnaire historique de la langue française en constate l’émergence à la fin des années vingt), désigne avant tout des mouvements culturels et politiques aussi divers que marginaux (une école littéraire chez nous, un courant russe antitsariste, un mouvement politique américain), dont le seul point commun tient finalement dans un programme assez vague, celui de remettre le peuple au cœur des préoccupations esthétiques et sociales. La science politique ne le récupère que fort tard, et là encore en embrassant une réalité hétérogène : tantôt il s’applique aux mouvements sud américains (de « droite » ou de « gauche »), tantôt il est utilisé pour rendre compte de la montée, depuis la fin des années quatre-vingt, d’une nouvelle extrême droite dont le Front national est un des exemples les plus frappants.

Portrait-robot. A la fin du XXe siècle, l’observateur attentif comprend encore à peu près ce que « populiste » veut dire. Sur la forme, il serait facile d’en tracer un portrait-robot : une grande gueule, adepte des provocations et des formules à l’emporte-pièce, le « bon client » médiatiquement parlant. Sur le fond, le populiste n’est rien d’autre qu’un énième avatar des démagogues, dont l’existence est aussi ancienne que la démocratie. Il joue avec les peurs (réelles ou qu’il suscite), recourt systématiquement à la simplification et à la dénonciation d’une caste coupée de la réalité.

Le problème, depuis environ deux décennies, c’est l’extension du domaine du populisme

L’idée centrale est d’installer une opposition entre « nous » et « eux » : le peuple contre les élites, les petits contre les gros ou, dans sa version xénophobe, les nationaux contre les étrangers. Une idéologie résolument post-marxiste (ou anti) donc, puisque le populiste choisit de substituer aux classes sociales (et à leurs antagonismes) un peuple homogène (c’est-à-dire mythique).

Le problème, depuis environ deux décennies, c’est l’extension du domaine du populisme. Lors du débat public, au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005, le mot cesse d’être accolé à la seule extrême droite pour désigner, sous la plume de commentateurs fiévreux et outrés, tout le camp du « non ». Résultat : le populisme est partout. Donc nulle part.

On est toujours le populiste de quelqu’un. Et pourvu qu’on émette des sérieuses réserves sur le bien-fondé de la construction européenne ou sur celui du libre-échange généralisé, on est perdu.

Aujourd’hui, dans l’esprit de celles et ceux qui l’emploient systématiquement et à tort et à travers, on devine que c’est l’insulte ultime, le mot censé discréditer absolument. Dans les « partis de gouvernement », c’est la maladie la plus redoutée. D’autant qu’elle est contagieuse : personne n’est à l’abri de la contracter. Ainsi même Emmanuel Macron, dont on n’avait pas spontanément perçu la dangerosité pour le système, se voit affublé de l’étiquette infamante (quoique légèrement atténuée : « populisme light ») par le Premier ministre.

Variantes. Bref, on est toujours le populiste de quelqu’un. Et pourvu qu’on émette des sérieuses réserves sur le bien-fondé de la construction européenne ou sur celui du libre-échange généralisé, on est perdu. Alors, bien sûr, il y a des variantes. La droite installée jugera populiste celui qui, à gauche, promeut l’augmentation des salaires ou la nationalisation des banques. La gauche raisonnable pourchassera le populiste qui souhaite tarir les flux migratoires ou réformer le droit de la légitime défense. Mais on peut cependant être certain d’une chose : la réduction du déficit, la baisse des « charges », la flexibilité du marché du travail, ne seront jamais considérés comme « populistes ».

Ainsi, le mot en dit finalement plus sur celui qui l’utilise que sur celui qu’il est censé décrire. Rien n’a changé depuis les années quatre-vingt-dix, ce temps béni où une majorité d’éditorialistes et de « décideurs » enamourés tenait pour acquise l’élection d’un Edouard Balladur, formant ce que l’une de ses figures de proue avait appelé « le cercle de la raison ». On sait ce qu’il advint de cette conjuration des sachants. Les mêmes, ou leurs épigones, reprennent aujourd’hui le flambeau de la lutte ardente contre le populisme, sans mesurer qu’en qualifiant tous ceux qui pensent différemment d’eux par ce terme, ils finissent par le rendre inopérant et… populaire.

C’est une banalité que de le rappeler : la priorité n’est pas au « combat contre le populisme », mais bien d’en finir avec ce qui lui permet de prospérer, c’est-à-dire l’incapacité avérée des dirigeants, de plus en plus indifférenciés, à protéger le plus grand nombre (économiquement, socialement, « sécuritairement », etc.) et à proposer un projet mobilisateur pour l’avenir.

En Europe comme en France, les partisans du « business as usual » comme les tenants du TINA (there is no alternative) n’ont aucun avenir. La crise actuelle nous offre l’opportunité de tourner la page. En retrouvant, selon la belle formule de Laurent Bouvet, le « sens du peuple » (*).

(*): Le sens du peuple, Laurent Bouvet, Gallimard, 2012.

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