Par des députés européens membres du groupe Socialistes & Démocrates : Guillaume BALAS, Edouard MARTIN, Emmanuel MAUREL, Virginie ROZIERE, Isabelle THOMAS
L’accord économique et commercial global (AECG/CETA) négocié entre l’Union européenne et le Canada fait l’objet d’un intérêt croissant dans l’opinion publique. Ce regain d’attention a été suscité ces dernières semaines par l’opposition manifestée par le Parlement de la région wallonne à la signature par la Belgique de cet accord.
Au vu des rebondissements de la semaine, il nous semble utile d’en tirer quelques enseignements.
Élus de gauche au Parlement européen, nous souhaitons d’abord saluer la sagesse et le courage des élus des régions wallonne et bruxelloise qui ont su résister aux intenses pressions politiques et aux menaces de représailles économiques exercées par les promoteurs zélés du libre-échange le plus débridé. Certains n’ont pas hésité à évoquer purement et simplement un passage en force. Le Président du groupe libéral au Parlement européen, Monsieur Guy Verhofstadt, qui se complaît dans la posture du grand défenseur de la démocratie fédéraliste européenne, déclarait ce mardi que les chefs d’État pourraient contourner la position du Parlement wallon en requalifiant sur le plan juridique cet accord comme « non mixte », c’est-à-dire en court-circuitant la consultation des parlements nationaux.
Rappelons qu’il y a plus d’un an, le 2 octobre 2015, la région wallonne s’était adressée à la Commission pour exprimer ses doutes sur de nombreux points clefs du traité commercial. La Commission européenne n’a daigné donner suite à ces questions légitimes que le 4 octobre dernier, en même temps qu’elle pressait le parlement wallon de lever son opposition à la signature de cet accord par la Belgique.
Sur le contenu même de l’accord, quelles ont été les avancées obtenues par Paul Magnette et les socialistes belges ?
Les opposants au CETA ont régulièrement dénoncé le nouveau mécanisme de règlement des différends – ICS – créé pour permettre de trancher les litiges entre les investisseurs – en réalité, quasi-exclusivement des firmes multinationales – et les États. Pointant du doigt le risque que cette structure ad hoc reposant sur l’arbitrage entre parties contournerait les tribunaux des Etats, de nombreuses voix (associations de magistrats européens, collectifs citoyens, élus) se sont élevées pour s’interroger sur la compatibilité de ce mécanisme avec le droit européen. Grâce au combat mené par les socialistes wallons et bruxellois, la Belgique s’engage à saisir la Cour de justice européenne afin de se prononcer sur la légalité de ce mécanisme. Par ailleurs, la Belgique va demander une réforme en profondeur du système ICS, sous peine d’un rejet par les parlements concernés.
Sur le plan agricole, l’État et les régions belges pourront activer une clause de sauvegarde en cas de déséquilibre de marché affectant un produit spécifique. Concrètement, si les importations de viande bovine et porcine provenant du Canada conduisent à un affaissement significatif des cours et amènent les éleveurs à produire à perte, les autorités publiques pourront demander de restreindre les quotas prévus par le traité. Les socialistes belges ont obtenu que des seuils soient déterminés moins de 12 mois après la signature de cet accord pour définir précisément ce que la notion de « déséquilibre de marché » recouvre.
Malgré ces avancées obtenues par la Wallonie, les interrogations quant aux nécessités concrètes de conclure un tel accord commercial ne sont toujours pas levées. Ces accords de nouvelle génération ressemblent plus que jamais à des accords de marché intérieur, offrant une porte ouverte à des pratiques de lobbying difficiles à encadrer, là où c’est l’intérêt général qui devrait être au centre de la politique commerciale de l’Union européenne. L’accroissement des émissions de gaz à effet de serre attendu par la conclusion de cet accord commercial apparaît en totale contradiction avec les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique énoncés lors de la COP 21 de Paris. Alors même que l’étude produite en 2011 pour la Commission n’évaluait qu’à 0,03 % le surcroît de PIB attendu sur 10 ans, une étude indépendante de l’Université de Tufts aux Etats-Unis fait état de la possible destruction de 200 000 emplois en Europe et de 45 000 emplois en France d’ici 2023.
L’épisode wallon a démontré que l’abnégation et la fidélité aux engagements politiques pouvaient changer le cours prétendument inexorable des diktats de la Commission européenne. Il doit servir de leçon à l’ensemble des socialistes et socio-démocrates européens en leur rappelant que les batailles perdues d’avance sont celles que l’on refuse de mener. Le bras de fer engagé par M. Magnette donne tort à ceux qui évacuaient d’un revers de la main les critiques légitimes que nous portions sur le CETA: à force de défendre un accord décrit comme « anti-TAFTA », la France n’aura malheureusement pas pesé dans la dernière phase des négociations, finalement la plus décisive.
Nous nous engageons à nous battre pour que la régulation de la mondialisation ne se fasse plus au détriment des principes démocratiques.
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