5G, comment ne pas devenir fous ?

Note d'Emmanuel Maurel

La 5G est en ce moment au coeur des débats politiques, et les prises de positions vont de l’enthousiasme pur au rejet catégorique. C’est un enjeu technologique difficile à appréhender pour la plupart d’entre nous ; à ce titre, il faut essayer d’y voir le plus clair pour situer les réactions et pouvoir commencer à se forger un avis. Reprenons donc les questions par le menu.

La 5G (5ème Génération) est la dernière génération de standards en matière de téléphonie mobile définis par la 3GPP (Third Generation Partnership Project), groupe de travail international sous l’égide de l’Union Internationale des Télécommunications. La 5G devrait permettre d’augmenter considérablement le débit des télécommunications à usage privé et industriel (de l’ordre de 1 à 100 par rapport à la 4G) tout en évitant l’engorgement des données grâce à un maillage très serré d’antennes-relais. Son nom est associé à la promesse de « l’Internet des objets » : une configuration où les données circulent en grande quantité et avec des temps de latence extrêmement réduits entre des objets connectés.

TABLE DES MATIÈRES

1. Qu'est-ce que cela va changer ?

2. Comment cela fonctionne ?

3. Qui et quand ?

4. Quels problèmes actuels ? Quelles implications ?

Conclusion | Pour une 5g européenne à hauteur de société

PARTIE 1

Qu'est-ce que cela va changer ?

En termes de progrès techniques, la 5G s’appuie sur trois piliers : plus de débit, plus d’objets connectés, et une réaction en temps réel. Concrètement, le débit promis permettra l’avènement de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée, de la vidéo en très haute qualité à 360° par exemple. La capacité d’accueil permettra de connecter un nombre d’objets si importants que la smart city deviendra une réalité à grande échelles. Jean-Pierre Bienaimé, un des acteurs chargés du déploiement du réseau en France, présente les choses ainsi :
« Enfin, pour l’aspect faible latence et haute disponibilité, le temps réel dans les réactions, c’est là où peut-être on va avoir les applications les plus révolutionnaires et les plus disruptives : c’est la voiture autonome, ce sont les usines connectées, c’est l’Internet tactile, ce sont les applications de chirurgie à distance… ».

À terme se profile l’avènement de la smart city, des opérations chirurgicales à distance, la domotisation généralisée et la poursuite de l’essor du big data, tant en nombre de données stockées qu’en possibilités d’exploration des données.

Quelques applications anticipées par domaine

Santé

Télé-médecine et chirurgie à distance ; un cas chirurgical nécessitant une haute spécialisation pourra être opéré en temps réel, grâce à un temps de réaction réduit à la milliseconde.

Industrie

Robotisation avancée (collaborative, plus complexe), suivi logistique de toute la vie des objets dès leur sortie d’usine (grâce aux puces de traçage connectées).

Énergie

Prévisions de consommation, routage des flux...

Usages urbains

Véhicules autonomes améliorés et à grande échelle, places de parking connectées, circulation régulée en temps réel, optimisation énergétique de l’éclairage urbain...

En somme, la 5G permet de connecter des objets entre eux en temps réel. On aura bien sûr des usages particuliers, mais la 5G « va s’adresser aux entreprises et pas nécessairement au grand public comme les générations précédentes ».
Concrètement, le débit promis permettra l’avènement de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée, de la vidéo en très haute qualité à 360° par exemple. La capacité d’accueil permettra de connecter un nombre d’objets si importants que la smart city deviendra une réalité à grande échelle.

PARTIE 2

Comment cela fonctionne ?

Le but de la 5G est d’augmenter le débit des télécommunications. En télécom, le débit se définit sur une certaine bande passante (1) par une certaine efficacité spectrale (2). Pour améliorer ce débit, il faut donc soit optimiser l’usage de la largeur de la bande, soit en augmenter l’efficacité.

La technologie 5G joue sur les deux facteurs : sur la bande passante avec les ondes millimétriques (1) et sur l’efficacité de la transmission avec la technologie Mimo (2).

1. Les ondes millimétriques

Alors que les précédentes générations utilisent les ondes hertziennes, la 5G s’appuie sur les ondes millimétriques. C’est inédit, et donc la technologie 5G aura une bande passante à son entière disposition puisque celle des ondes millimétriques est encore une sorte de « terrain vierge ».

2. Les technologie MiMo

C’est le nom de la technologie nouvelle sur laquelle est conçu le réseau d’antennes 5G. En télécom, la qualité d’une information transmise dépend du rapport entre le signal envoyé et le bruit qui en parasite la transmission. Le problème des ondes millimétriques est précisément qu’elles sont fortement sujettes au bruit puisque leur longueur d’onde est bien plus petite et, à proportions égales, moins puissante. La technologie MiMo permet d’en optimiser l’utilisation grâce au principe de la fragmentation du message. Au lieu d’envoyer d’une antenne A à une antenne B un message « en bloc », le message transmis par le téléphone X vers un téléphone Y va être divisé en noyaux d’informations et capté par plusieurs antennes 5G (disons A, B, C et D) pour être retransmis à d’autres (E, F, G et H) qui vont elles-mêmes transmettre le message à Y en le recomposant. Cela permet de réduire au maximum la part de bruit dans la transmission des signaux. Cela explique par ailleurs la densification du réseau des antennes, qui doivent être partout disponibles en grand nombre.

Le but de la 5G est d’augmenter le débit des télécommunications. En télécom, le débit se définit sur une certaine bande passante par une certaine efficacité spectrale. Pour améliorer ce débit, il faut donc soit optimiser l’usage de la largeur de la bande, soit en augmenter l’efficacité.

PARTIE 3

Qui et quand ?

Les acteurs

La 5G doit s’appuyer sur un réseau de fréquences spécifiques allouées à des opérateurs par des autorités nationales (en France, l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes, ARCEP ; et l’Agence Nationale de Sécurité des Systèmes d’Information, ANSSI). Les opérateurs mobiles, souvent nationaux, sont en charge de la gestion de ce réseau et s’appuient sur les équipementiers pour l’installation et la gestion du parc matériel des antennes-relais.

En effet, la 5G requiert un matériel spécifique distinct de la précédente génération de téléphonie et la course technologique se joue donc, d’une part, entre les équipementiers sur le marché des appareils et des antennes-relais ; d’autre part entre les opérateurs pour acquérir les licences nationales d’abord, internationales ensuite.

EN PRATIQUE

En France, SFR et Bouygues s’appuient sur Huawei, Orange a un partenariat avec Nokia et Ericsson, Free avec Nokia. Le champion mondial de l’équipement 5G est actuellement le chinois Huawei, dont l’association avec les opérateurs China Telecom et ZTE constitue un front extrêmement performant, en avance sur ses concurrents internationaux, et qui propose son expertise en Europe et aux États-Unis. Comme nous le verrons par ailleurs, le marché de la 5G est tout sauf pacifique. Dès lors que les données sont stockées par des entreprises en lesquelles se retrouvent des intérêts nationaux, le jeu des acteurs et les combinaisons équipementiers/opérateurs appellent la plus grande vigilance.

Le calendrier

En France : l’ARCEP, le gendarme du numérique, doit encore départager Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile pour l’attribution en primeur des fréquences et le premier déploiement urbain en 2021. Chaque opérateur devra avoir déployé 3000 sites 5G en 2022, 8000 en 2024 ; les centres urbains devront être couverts en 2025, tout comme les sites autoroutiers, et la 5G devra être accessible à 2/3 de la population. Un réseau 100% 5G est visé à l’horizon 2030.

Dans le monde : la Chine vise le milliard d’utilisateurs en 2025 et la couverture de la quasi-totalité du réseau en ce milieu de décennie. En Europe, on prévoit la couverture 5G à 50% du réseau à cet horizon.

Selon la Commission européenne, le coût est estimé à environ 500 milliards d’euros d’ici 2025 pour atteindre l’objectif fixé, dont la couverture 5G de toutes les zones urbaines.

Les inquiétudes sont légitimes quant aux suppressions d’emplois. On se doute que nombre d’emplois au sein des chaînes de production industrielles, de la veille humaine sont directement menacés par la 5G.

PARTIE 4

Quels problèmes potentiels, quelles implications ?

Le bon vieux temps des « lampes à huile » : le problème des inégalités territoriales

La 5G va être déployée alors même que toute la France n’est pas couverte par la 4G. Il y a peu d’informations sur le maillage prévisionnel du territoire en dehors de la dichotomie centres urbains/ reste du territoire. On comprend que la 5G aura des usages majoritairement urbains : intra-urbains (smart city) mais aussi inter-urbains. Alors que l’accès à internet n’est pas garanti, la 5G se dirige vers un approfondissement de l’avance technologique de certaines villes et de certains hubs plutôt que vers l’élargissement et la démocratisation de l’accès aux systèmes de sécurité et d’information (SSI). Le retard, d’ailleurs, devrait se creuser puisque c’est encore le déploiement des antennes 4G qui est en projet notamment en zones rurales, et non le passage direct à la 5G. Il ne semble donc pas sur la table que la nouvelle fée électricité profite de si tôt à ceux qui s’éclairent encore aux « lampes à huile » (E. Macron).

Les risques pour l'emploi

Les inquiétudes sont légitimes quant aux suppressions d’emplois. On se doute que nombre d’emplois au sein des chaînes de production industrielles, de la veille humaine (surveillance des parkings, techniciens de l’eau, du gaz, etc) sont directement menacés par la 5G. Par ailleurs, la route que cette technologie ouvre n’est pas linéaire, et elle dessinera rapidement des ramifications nombreuses vers l’intelligence artificielle, la réalité augmentée, enfin, un ensemble de domaines qui exigeront une redéfinition de nombreux secteurs professionnels. Ce qui peut paraître inquiétant, c’est que cette question ne préoccupe pas encore les enthousiastes, parfois un peu scientistes, de la 5G.

Quand une journaliste demande à J-P. Bienaimé, figure des télécoms françaises, si la 5G mènera à des suppressions d’emploi, la réponse est d’un silence éloquent : « C’est très difficile de répondre, mais je ne pense pas que la précédente génération 4G ait supprimé des emplois. Bien des nouveaux services pourront apparaître, et qui dit nouveaux services dit nouveaux emplois… ».

Les risques pour l’environnement et la santé

Les problèmes écologiques et sanitaires que pose la 5G sont de divers ordres.

Les antennes

La technologie MiMo permettrait d’augmenter le débit internet tout en réduisant en proportion le coût énergétique par rapport à la 4G. Il vaudrait en fait mieux dire que l’explosion du coût énergétique n’est pas celle que l’on pourrait attendre. En effet, MiMo se base notamment sur l’usage d’émissions intermittentes au contraires des émissions continues actuelles ; en théorie c’est une avancée bien pensée, mais le risque est de voir en pratique une multiplication telle des usages d’internet que, de fait, l’émission s’avérerait être quasi-continue. Le facteur aggravant résiderait dans l’inadéquation de la solution au problème posé : une antenne 5G consomme, en fait, plus qu’une antenne 4G même si, en droit, le principe de l’émission intermittente doit permettre d’atténuer le phénomène. Mais si l’émission intermittente devient continue du fait de la croissance exponentielle des usages, la consommation énergétique augmentera largement du même coup.

Les appareils

Le passage à la 5G en requiert de nouveaux dans tous les domaines (antennes, smartphones, capteurs...). Cela mènera à l’obsolescence de tous les appareils programmés 4G : au contraire du passage de la 3G à la 4G où les standards restaient fondés sur les mêmes ondes hertziennes, le passage aux ondes millimétriques requiert des capteurs complètement nouveaux. Cela supposera donc, à terme, le renouvellement de l’ensemble du parc télécom et, à la clef, l’extraction de tous les métaux rares nécessaires à la fabrication des puces électroniques, une nouvelle aberration écologique.

Aucun risque sanitaire dû aux ondes millimétriques n’a été avéré à ce jour, mais de nombreuses voix incitent à la prudence. Les variables nouvelles qu’introduit la 5G, à savoir la surexposition (en raison de la densité du réseau) et l’exposition constante (fait inédit pour ce type d’onde) sont causes d’incertitude.

Un appel international contre la 5G a été présenté aux Nations Unies en 2015, et à l’Union européenne à partir de 2017, avec un nombre croissant de signatures de la part de scientifiques (268 scientifiques et médecins en date du 18 décembre 2019). Les signataires déclarent qu’avec l’utilisation de plus en plus intensive des technologies sans fil, et en particulier lors du déploiement de la 5G, personne ne pourra éviter une exposition aux rayonnements électromagnétiques constants du fait du nombre considérable d’émetteurs 5G, avec 10 à 20 milliards de connexions estimées (véhicules autonomes, bus, caméras de surveillance, appareils domestiques, etc.).

De plus, l’appel précise qu’un grand nombre de publications scientifiques illustrent les effets de l’exposition aux CEM: risque élevé de cancer, dommages génétiques, troubles de l’apprentissage et de la mémoire, troubles neurologiques, etc. Un article de synthèse scientifique de 2016, couvrant les données expérimentales sur les effets oxydatifs des rayonnements radiofréquences de faible intensité sur les cellules vivantes, a constaté que, parmi 100 études évaluées par des pairs actuellement disponibles qui traitent des effets oxydatifs des rayonnements radiofréquences de faible intensité de manière générale (18 études in vitro, 73 études sur les animaux, 3 études sur les plantes et 6 études sur les êtres humains), «[…] 93 ont confirmé les effets oxydatifs sur les systèmes biologiques induits par les rayonnements radiofréquences».

Aucun risque sanitaire dû aux ondes millimétriques n’a été avéré à ce jour, mais de nombreuses voix incitent à la prudence. Les variables nouvelles qu’introduit la 5G, à savoir la surexposition (en raison de la densité du réseau) et l’exposition constante (fait inédit pour ce type d’onde) sont causes d’incertitude.

Point sur l’état de la recherche

D’un point de vue épistémologique, deux problèmes principaux se posent et empêchent de tirer des conclusions définitives quant aux risques de divers ordres. D’une part, aucun groupe témoin n’a été constitué pour être un échantillon suffisamment représentatif des effets des ondes millimétriques employées à une telle échelle. Ensuite, aucun groupe témoin n’a été suivi dans le temps, alors que la 5G est en passe de devenir une technologie pérenne.

Ces incertitudes méthodologiques peuvent mener soit à la demande de moratoires, soit à un certain fatalisme : de toute façon, à moins de mettre la 5G en oeuvre, on ne saura jamais vraiment quels sont les risques puisque les conditions d’expérience ne pourront jamais rejoindre les conditions réelles.

Les risques pour la souveraineté et la défense

Les inquiétudes stratégiques relatives au risque de perte de souveraineté, aux possibilités d’ingérence étrangère et au défaut de sécurisation des données viennent de la configuration technique et technologique de l’implantation du réseau 5G.

Nous avons vu que les opérateurs nationaux devaient disposer d’un certain matériel. Or, nombre de pays ne sont pas en mesure de fournir eux-mêmes à leurs opérateurs et aux citoyens des équipements nationaux. Sur le marché actuel, la plupart des brevets et l’avance technologique sont détenus par Huawei ; quand on connaît les liens organiques qui unissent l’état chinois à de telles entreprises fleurons de son économie, les inquiétudes sont légitimes. Il est en effet possible à l’équipementier de déployer des puces espions à certaines endroits stratégiques du réseau au moment de l’installation. De même, au-delà de la captation d’informations, il n’est pas à exclure que l’entreprise puisse décider arbitrairement de l’arrêt des communications, ou qu’elle puisse interférer dans le réseau. De simples puces peuvent suffire, et à moins de disséquer chaque noeud, il est difficile d’en vérifier l’absence.

En France, l’ARCEP a fortement limité par anticipation la participation de Huawei, en excluant d’office l’installation de matériel chinois à proximité de sites sensibles (bases militaires, centrales nucléaires…). En Angleterre, Huawei a été délesté de l’installation des nouveaux postes 5G ; pour autant, les antennes 4G existantes lui appartiennent encore et comme la 5G s’appuie pour partie sur les installations physiques en place, de nombreuses années seront encore nécessaires pour exclure définitivement la compagnie chinoise du marché des télécoms britanniques.

Dans le cas de la 5G, la Commission européenne propose une approche de minimisation des risques en s’adressant en partie aux opérateurs. Il s’agit de mettre en place une série de procédures que les acteurs étrangers et domestiques doivent respecter : évaluer les profils de risques des fournisseurs et répartir leur rôle sur le réseau en conséquence ; éviter toute dépendance majeure à un seul acteur ; travailler étroitement avec les opérateurs pour renforcer les exigences de sécurité, etc. C’est sans doute une chance pour les Européens, Nokia et Ericsson, de se remettre sur les rails car ils doivent pouvoir proposer une offre 5G européenne sans risque d’ingérence.

Dans le cas de la 5G, la Commission européenne propose une approche de minimisation des risques en s’adressant en partie aux opérateurs.

CONCLUSION

Pour une 5G européenne, à hauteur de société

La 5G est, à tous points de vue, une technologie dont les inconvénients, voire les risques sont au moins aussi nombreux que les avantages. Alors que la 4G et les nouveaux usages numériques ne sont ni accessibles à tous, ni même complètement explorés, la course à la 5G relève aussi d’une idéologie : celle de la « disruption ».

Ce terme, célébré comme si les promesses d’innovation qui l’accompagnent suffisaient à rendre désirables toutes les situations où on l’invoque, a été analysé de façon approfondie par feu Bernard Stiegler dans un de ses derniers ouvrages, Dans la disruption : comment ne pas devenir fous. Reprenant une part du travail de Michel Foucault sur les structures scientifiques, il rappelle que chaque époque se définit par le rapport au monde qu’induit un certain état de la science, une certaine configuration technique. Les projets sociaux s’élaborent donc en fonction de cette configuration et du degré de maîtrise collective sur les techniques contemporaines. Mais le problème de l’ère numérique, c’est qu’elle est une sorte de boîte de Pandore : le champ des possibles échappe à toute représentation exhaustive, tout commme ses développements ultérieurs échappent à toute anticipation, cependant que ces technologies opèrent déjà dans notre vie quotidienne et impactent déjà les structures sociales.

La disruption, chez Stiegler, n’est pas le concept séduisant d’E. Macron, mais le nom de cette idéologie du décalage, de l’avance écrasante de la configuration technique sur son appropriation par les forces sociales. Ce décalage se manifeste particulièrement dans le domaine juridique. Le droit encadrant les SSI et leurs développements technologiques vient généralement bien après le fait accompli, avec le danger qu’une innovation creusant son avance sur le droit ne le rende obsolète et superflu. Il est difficile de se représenter la société de la 5G car cette dernière emmènera la société encore plus loin dans l’ère numérique alors que nos structures sociales, politiques, juridiques, culturelles, ne sont pas forcément prêtes. L’approfondissement de l’avance technologique « disrupte » toujours plus, et plus vite, l’état de la société. Il convient donc de réduire ces décalages pour que le progrès technique aille de pair avec le progrès social et l’émancipation de tous.

Cette configuration inquiétante de la disruption numérique, augmentée des doutes relatifs à la santé et à l’environnement, semble bien justifier un moratoire, comme l’ont proposé une partie de la gauche et des écologistes. Mais force est de constater que s’opposer à la 5G risque de ne pas suffire à empêcher son déploiement.

Cette configuration inquiétante de la disruption numérique, augmentée des doutes relatifs à la santé et à l’environnement, semble bien justifier un moratoire, comme l’ont proposé une partie de la gauche et des écologistes. Mais force est de constater que s’opposer à la 5G risque de ne pas suffire à empêcher son déploiement. Vu son stade de maturité, il y a fort à parier que cette technologie finira par être déployée. Il faut donc, si l’on veut que notre vigilance ait une traduction politique, emboîter le pas de son déploiement avec des idées et des priorités bien claires. Nous l’avons vu, la 5G a ses scientistes zélés qui voient que 5 est supérieur à 4, que c’est en soi un progrès, qu’il ne faut pas s’encombrer d’inquiétudes. J’estime pour ma part qu’il est du rôle du politique et du législateur de garantir un cadre de déploiement technologique aussi compatible avec le progrès social.

Reprenons les enjeux : la réduction des inégalités sociales et territoriales, les exigences environnementales et sanitaires, la souveraineté numérique.

Si les risques environnementaux et sanitaires sont pressentis, il faut bien sûr engager des recherches poussées, trouver le moyen de résoudre le dilemme des tests à grande échelle pour élaborer des protocoles donnant la priorité à la sécurité et la durabilité. Une telle démarche me paraît plus efficace que celle, peu réaliste, de simplement freiner des quatre fers.

Sur la question de la couverture territoriale, si la puissance publique peut s’engager à rendre l’accès à la 5G systématique pour tous les citoyens (au contraire de ce qui se passe pour la 4G), alors oui, peut-être pourra-t-on parler de progrès.

Pour ce qui relève enfin de la souveraineté numérique, j’y vois encore une chance potentielle pour l’avenir de la France et de l’Europe. La puissance publique doit s’impliquer dans la régulation des flux de données, tant le contrôle de la data est aujourd’hui un instrument de la puissance. Nous avons peut-être, avec la 5G, le moyen d’assurer l’indépendance des Européens en fermant notre marché aux opérateurs étrangers qui agissent en agents plus ou moins masqués de puissances étrangères, dont nous ne partageons pas toujours les valeurs, ni le modèle de société. L’Europe porte les principes de la démocratie, de la protection des individus et du respect de la vie privée. Nous devons refuser de sacrifier ces principes sur l’autel du marché mondial des télécoms et du big data. Dès lors la posture adéquate doit être de ne pas se laisser distancer par telle ou telle nation soumise à l’idéologie mortifère de la disruption.

L’Europe peut profiter, avec des investissements nécessaires et exclusifs, des compétences que ses équipementiers, Nokia ou Ericsson par exemple, développeront jusqu’à l’installation d’appareils européens, sur un réseau 5G européen. De même, il nous faut inventer les bonnes formules juridiques pour pouvoir contrôler les usages de la 5G avant que l’ingéniosité de certains de ses promoteurs ne prenne l’intérêt général de vitesse. Comme secteur stratégique et part majeure de la course à la puissance technologique, l’Europe peut (et doit) s’approprier la 5G, mais en donnant forme à ses usages avant qu’elle n’impose unilatéralement ses codes et ses objectifs.

POUR ALLER PLUS LOIN

  • J.-P. Bienaimé., “Le déploiement de la 5G”, C.N.R.S. Editions, Paris, 2019
  • Miroslava Karaboytcheva, Les effets de la communication sans fil 5G sur la santé humaine, Service de recherche du Parlement Européen, février 2020
  • G. Babinet, T. Lenoir: « Être souverain en 2030 : la gouvernance des infrastructures numériques »
  • B. Stiegler : Dans la disruption : comment ne pas devenir fous (Les Liens qui libèrent, 2016 ; rééd. en poche chez Babel Essais)

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