Tabac, colza, maïs… L’Europe complice de la déforestation tropicale

Entre 2005 et 2017, l’UE est responsable de la disparition de 3,5 millions d’hectares de forêts à cause de ses importations. Enfin, la Commission propose un texte contre la déforestation importée, mais manque encore une fois d’ambition. Ma tribune pour Reporterre.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 420 millions d’hectares de forêts ont disparu dans le monde entre 1998 et 2020, soit 10 % des forêts mondiales restantes. Une surface aussi importante que la totalité de l’Union européenne ! Pourtant, les forêts jouent un rôle majeur dans la préservation de l’environnement. Capables de capter le carbone en rejetant de l’oxygène, elles abritent également plus de 80 % de la biodiversité mondiale et représentent des milliers d’emplois. En première ligne de la destruction de ces écosystèmes, l’expansion agricole et l’élevage, responsables à 88,5 % de leur disparition à travers le monde, principalement en Amérique du Sud.

L’Union européenne a sa part de responsabilité dans ce massacre. Certes, elle a mis en place en Europe des politiques de reboisements massifs permettant de lutter contre la déforestation. Mais les accords de libre-échange et nos modèles actuels d’élevage et de consommation déplacent le problème, en externalisant notre empreinte carbone. Nos importations de soja du Brésil, par exemple, sont une catastrophe pour la forêt amazonienne. Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), les importations de l’Union ont été à l’origine de la destruction d’environ 3,5 millions d’hectares de forêts tropicales entre 2005 et 2017, et du rejet de plus de 1,8 milliard de tonnes de CO2. L’équivalent de 40 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’Union !

Comme l’Union européenne est fondée sur la liberté du commerce, sacralisée dans ses traités comme une fin en soi, il lui est inconcevable d’éradiquer l’importation de produits dont la fabrication a nécessité la déforestation, à l’instar des bovins et du soja. Elle ne peut pas non plus renoncer à des accords de libre-échange scandaleux tels que le Mercosur, muet sur la déforestation de l’Amazonie, ou celui qu’elle négocie actuellement avec l’Indonésie, dont les forêts sont détruites pour laisser place aux cultures d’huile de palme.

Mais elle tente de limiter sa responsabilité en se frayant un chemin entre le credo libre-échangiste et la préoccupation environnementale. C’est ce qui ressort de cette proposition de règlement pour l’importation de produits « zéro déforestation », présentée en novembre dernier par la Commission européenne pour lutter contre la déforestation importée au sein de l’Union. Le dispositif pour prévenir le phénomène est plutôt solide parce qu’il prévoit d’interdire, avec les mécanismes de mise en œuvre et de contrôle appropriés, cacao, café, huile de palme, soja et bois obtenus par la déforestation.

Toutefois, il demeure trop limité pour enrayer la complicité de l’Union avec la déforestation car les productions les plus « déforestantes » importées en Europe — tabac, caoutchouc, maïs et autres oléagineux comme le colza — restent à ce jour absentes du champ d’application. 

L’Union européenne a l’obligation d’être plus ambitieuse

D’autre part, le texte s’en tient à une définition restrictive de ce qu’est une forêt : il ne prend pas en considération les espaces naturels tels que savanes, mangroves ou tourbières, dont la destruction à des fins d’exploitation économique relâche elle aussi des milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère.

D’ici l’adoption du règlement, qui en est pour le moment encore au stade de négociation en commission, il faudrait donc que les députés européens exigent l’élargissement des champs d’application pour que ce texte marque une vraie étape dans la lutte contre la déforestation. Car l’entre-deux européen, ce « en même temps » libéral et écologique, est de moins en moins soutenable à moyen et même à court terme, tout le monde le sait : même au sein des institutions européennes, il devient de plus en plus difficile aux puristes de la mondialisation de résister à la pression des écologistes et des mobilisations citoyennes.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a récemment rappelé l’urgence de la situation : l’heure n’est plus aux petits pas. L’Union européenne a donc l’obligation d’être plus ambitieuse. Nous sentons bien qu’un nouvel âge de la mondialisation doit advenir, celui de la souveraineté alimentaire et de la neutralité carbone. Pour ce qui me concerne, entre mettre en danger la mondialisation libérale, avec ses substantiels profits, et les générations futures, mon choix est fait.

Retrouvez ma tribune dans Reporterre.

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