La Fake economy désigne le marché économique qui repose sur la tromperie du consommateur : contrefaçons, pénuries à des fins commerciales et étiquetage malhonnête des produits alimentaires
QU'EST-CE QUE LA FAKE ECONOMY ?
L’intuition du lecteur l’aura sans doute conduit sur la voie : il s’agit de cette partie du secteur productif qui trompe le consommateur en lui vendant des biens contrefaits..
C’est le plus gros morceau, mais la Fake Economy englobe également l’organisation délibérée de pénuries sur certains biens vitaux (particulièrement les médicaments) et la triche sur l’affichage des qualités essentielles des marchandises (on se souvient par exemple de « l’affaire des lasagnes à la viande de cheval »).
On pourrait croire ces phénomènes marginaux, que la fraude et l’escroquerie existeront toujours. La réalité est pourtant toute autre. Le marché de la contrefaçon n’est pas l’affaire de quelques escrocs ; c’est un système économique à part entière, planifié, structuré et organisé avec le même soin et surtout les mêmes moyens, y compris étatiques, que le système productif légal.
« Le marché de la contrefaçon n’est pas l’affaire de quelques escrocs ; c’est un système économique à part entière. »
LES CHIFFRES DONNENT LE VERTIGE
Selon des données récentes de l’Office Européen de la Propriété Intellectuelle, l’Union européenne importe chaque année sur son territoire 85 milliards d’euros de produits contrefaits ! En termes de croissance économique perdue, la contrefaçon détruit 60 milliards de PIB annuel et surtout 434.000 emplois, dont près de 30.000 en France.
Au niveau mondial, le « PIB de la contrefaçon » est supérieur à 500 milliards de dollars, d’après le Gouvernement des États-Unis. Et ce montant faramineux n’est que la partie émergée de l’iceberg, car sa totalisation n’est qu’une extrapolation à partir des saisies douanières, dont le taux d’efficacité est faible.
On est loin de l’image d’Épinal des faux sacs Vuitton et fausses Rolex écoulés auprès des touristes sur les marchés de bords de mer. Si la maroquinerie ou le textile sont durement frappés (1,8 million de saisies par les seules douanes françaises en 2018), tous les secteurs sont concernés. Absolument tous : logiciels, médicaments, jouets (1,2 million de saisies en 2018), pièces automobiles, jusqu’à certains composants ultrasensibles dans le domaine des armements ou des infrastructures énergétiques (et même, possiblement, nucléaires). La Fake Economy n’est donc pas seulement affaire de croissance et d’emplois : vu la qualité déplorable des produits contrefaits, il s’agit aussi d’une affaire de sécurité.
La contrefaçon détruit 434 000 emplois dans l’UE dont 30 000 en France
En 2018, la douane française a saisi 1,8 millions de produits contrefaits en maroquinerie et textile, 1, 2 million en jouets
« La Fake Economy n’est donc pas seulement affaire de croissance et d’emplois : vu la qualité déplorable des produits contrefaits, il s’agit aussi d’une affaire de sécurité. »
80% des produits contrefaits proviennent de la Chine
La propriété intellectuelle représente 40% du PIB européen
DANS SON ÉCRASANTE MAJORITÉ, LA FAKE ECONOMY EST "MADE IN CHINA"
A plus de 80%, les produits contrefaits proviennent de l’Empire du Milieu – et même plus de 90% si l’on ajoute les zones sous son aire d’influence, notamment Hong-Kong et Singapour (ce qui n’a pas empêché l’Union européenne de passer un accord de libre circulation des marchandises avec cette dernière…).
La production de la contrefaçon est assurée par une myriade d’usines implantées très à l’écart du littoral, essentiellement à l’Ouest du pays, puis est dirigée vers les ports, d’où elle part vers l’Europe et les Etats-Unis en porte-containers, le plus souvent dans des colis postaux individuels.
Le rôle des méga plateformes de vente dans le circuit de la fraude est donc décisif. La Fake Economy passe sous les radars « grâce » à des sites comme AliBaba et surtout Amazon. Si à cette nuisance délibérée sur nos économies (dont le PIB repose à plus de 40% sur la propriété intellectuelle), l’on ajoute l’évasion fiscale du tentaculaire distributeur américain, son dossier commence à peser très lourd. Trop lourd même, car les consommateurs ne sont que très rarement complices de la contrefaçon. Ils croient authentiques les produits qu’ils achètent via Amazon, lequel sait parfaitement que les vendeurs référencés sur sa « marketplace » font passer le faux pour le vrai à échelle industrielle (et changent d’identité toutes les deux semaines pour brouiller les pistes).
« Le rôle des méga plateformes de vente dans le circuit de la fraude est donc décisif. La Fake Economy passe sous les radars « grâce » à des sites comme AliBaba et surtout Amazon. »
Mais la sophistication de cet appareil productif parallèle ne s’arrête pas là. D’après le Bureau des Marques et de la Propriété Intellectuelle des Etats-Unis, les procédés marketing les plus modernes sont mis au service de la contrefaçon. Les données des visites sur les sites internet sont enregistrées et compilées dans des serveurs informatiques dédiés, puis elles sont analysées, y compris au moyen de l’intelligence artificielle, qui répercute ces données en temps réel aux producteurs afin qu’ils adaptent immédiatement leur production aux préférences des consommateurs. Il se murmure même que lorsque la Chine et l’Europe négocient des accords pour protéger certaines appellations géographiques, la première le fait (au moins en partie) pour amener la seconde à dévoiler les produits auxquels elle tient le plus, afin de savoir lesquels imiter en priorité. Rien n’échappe à la contrefaçon : ni les produits manufacturés, ni les produits alimentaires.
Sans même parler de l’imitation du Camembert ou d’autres appellations prestigieuses, nos garde-mangers sont remplis de choses trompeuses (318.000 saisies en 2018). La dernière affaire en date est celle du miel. Avant que la mondialisation étende tous ses « bienfaits », notre miel était produit principalement en France et accessoirement en Europe. A présent, non seulement 50% du miel consommé en Europe est importé de Chine (30% provenant de Brésil et de Turquie), mais il est en plus « allongé » avec du sirop de sucre de riz ou de maïs ! Tout cela se fait en toute légalité, la Commission ayant même refusé à la France, il y a deux semaines, d’imposer un étiquetage du miel informant le consommateur de l’ensemble de sa provenance et de tous ses « procédés » de fabrication.
En 2018, les douanes françaises ont saisis 318 000 produits alimentaires aux appellations trompeuses
Affaire du miel frelaté : pour la Commission européenne, informer les consommateurs, c’est « aller trop loin. » Lien
« Sans même parler de l’imitation du Camembert ou d’autres appellations prestigieuses, nos garde-mangers sont remplis de choses trompeuses (318.000 saisies en 2018). »
L'EUROPE NE FAIT PAS GRAND-CHOSE...
... c’est le moins que l’on puisse dire, pour se prémunir contre la Fake Economy. La lutte contre le vol de la propriété intellectuelle ne figure même pas explicitement dans la lettre de mission rédigée par la Présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, à l’intention de son Commissaire au Commerce international, Phil Hogan…
Le développement sur le territoire européen des circuits d’approvisionnement en fausses marchandises chinoises ne semble pas vraiment alarmer nos dirigeants. Ainsi les Nouvelles Routes de la Soie, ce gigantesque réseau routier et ferroviaire traversant l’Asie et se terminant en Europe, notamment dans les infrastructures portuaires et logistiques acquises par Pékin (par exemple en Grèce ou en Italie) : des wagons débordant de biens contrefaits rouleront sans encombre vers nos entrepôts avant d’être « dispatchés » par les services postaux publics comme privés, de type Deutsche Post ou DHL. Le comble de l’absurde est atteint quand on apprend que des accords d’auto-certification lient l’Europe et la Chine : il revient à son administration douanière d’apposer elle-même, pour le compte des importateurs européens, un certificat d’authenticité sur ses propres contrefaçons !
Les termes de l’échange entre la Chine et l’Europe sont totalement déséquilibrés. Se voulant la bonne élève de la mondialisation et du commerce multilatéral, l’Union européenne se conduit en idiot du village international et laisse faire sous ses yeux des pratiques que même les plus ultralibéraux réprouveraient. Non seulement la Chine bloque son propre accès au marché et se sert sans vergogne de ses entreprises d’Etat subventionnées pour nous affaiblir, mais elle industrialise et organise aussi la triche comme un avantage comparatif à part entière. Comme nos économies reposent en majeure partie sur la création, cette prime au pillage offerte par naïveté collective à nos concurrents, pourrait sonner notre perte. Nos industries sont littéralement détruites par la Fake Economy.
« Se voulant la bonne élève de la mondialisation et du commerce multilatéral, l’Union européenne se conduit en idiot du village international et laisse faire sous ses yeux des pratiques que même les plus ultralibéraux réprouveraient. »
Il est grand temps pour l’Europe de réagir contre cette Fake Economy qui la mine
J’ai eu l’occasion de mesurer les dégâts du vol de la propriété intellectuelle sur l’entreprise Tollix, fabricant à Autun de meubles « design » particulièrement appréciés par les amoureux des beaux objets.
Mais ces esthètes ne savent pas toujours qu’ils les achètent contrefaits, et Made in China ! Moyenne entreprise, se remettant à peine d’une douloureuse restructuration et dépourvue des moyens juridiques pour obtenir la fermeture des ateliers de copiage, Tollix est aujourd’hui à peine à l’équilibre et la pérennité de ses emplois ne tient qu’à un fil. Pour faire baisser la pression de temps en temps, les autorités chinoises et leurs bras armés, notamment la plateforme AliBaba, font (ou feignent) quelques efforts visant à endiguer la contrefaçon, par exemple en « déréférençant » les fournisseurs qui abusent le plus. On objectera qu’eux au moins font quelque chose, Amazon pour sa part ne faisant rien du tout.
Il est grand temps pour l’Europe de réagir contre cette Fake Economy qui la mine. Premières victimes de la contrefaçon par ordre d’importance, la France, l’Italie et l’Allemagne pourraient prendre une initiative, à tout le moins enjoindre la Commission européenne de négocier en se souciant davantage de nos créateurs, petits et moyens entrepreneurs, salariés et consommateurs victimes de ces pratiques totalement déloyales. Nous ne pouvons pas accepter que l’emprise de la triche s’étende, via les Nouvelles Routes de la Soie, à nos infrastructures stratégiques.
Nous devons renforcer considérablement nos moyens de lutte contre la contrefaçon, notamment les douanes, en leur confiant des pouvoirs étendus d’investigation (et de destruction de toutes les saisies, comme aux Etats-Unis), avec les moyens juridiques et financiers appropriés. Toute évolution de nos relations commerciales avec la Chine doit être subordonnée à l’abolition effective de la Fake Economy, c’est-à-dire la fermeture et la reconversion de ses usines de copiage.
Enfin, les complices de la contrefaçon, qu’il s’agisse des services postaux et surtout des plateformes de ventes, ne peuvent plus rester impunis. Si nous voulons offrir à nos proches toutes sortes de cadeaux de fin d’années l’esprit tranquille, c’est le prix qu’il nous faudra payer.