Europe : plutôt que la « renaissance », le mensonge et la résignation

Une analyse détaillée de la tribune européenne de Macron.

À grand renfort de publicité, la République en Marche publie dans la presse son premier tract pour la campagne des élections européennes. Il est signé par le Président de la République lui-même !

Ce texte, assez brumeux et très lacunaire s’articule autour de trois idée-force : la liberté, la protection et le progrès.

C’est sur le fondement de ces idée-force que le PR se positionne en adversaire : 

  • des « nationalistes », « exploiteurs de mensonges (…) soutenus par les fausses informations » dont le fait d’armes majeur est à ce jour le Brexit. 
  • des tenants « du statu quo et de la résignation »

1.      Ce que contient la tribune

a)      La « Liberté » ?

Pour la « liberté », le PR propose la création d’une Agence Européenne de Protection des Démocraties. Cette Agence viserait à prévenir et contrecarrer les cyberattaques, « les manipulations (?) et tous les discours de haine et de violence ». Il s’agit du copié collé de la récente loi française, où toute « fake news » ou info considérée comme telle pourra être ni plus ni moins censurée. Tous les défenseurs des droits de l’homme expriment de vives craintes sur le risque de contrôle politique qu’une telle législation pourrait engendrer, à plus forte raison dans l’internet.

En matière de liberté et de défense des valeurs européennes, on aurait pu s’attendre à autre chose.

Au moment où des gouvernements vraiment autoritaires multiplient les atteintes aux libertés fondamentales (liberté de la presse, indépendance de la justice, droits des femmes, liberté de manifester), au moment où prospère la haine raciste et antisémite, le président perd de vue l’essentiel. Il faut dire que la France elle-même n’est pas exempte de tout reproche : la récente loi dite « anti casseurs » fait l’objet de condamnations unanimes en Europe.

b)      La « Protection » ?

Le PR souhaite « remettre à plat l’espace Schengen »Par cette formule il sous-entend qu’un pays membre de l’Espace Schengen qui ne prendrait pas sa juste part dans l’accueil des migrants et réfugiés serait expulsé de Schengen. Il va donc très bientôt enclencher le processus de sortie de la France de l’espace Schengen, puisque notre pays ne respecte pas ses engagements pris en 2015.

Mais c’est sur le terrain de la guerre que Macron est le plus en pointe (après avoir ânonné le traditionnel « l’Europe c’est la paix » quelques lignes plus haut). C’est le seul passage, avec l’innovation, où il est vraiment question « d’augmenter le budget ». Il faudra conclure un traité de défense et de sécurité « en lien avec l’Otan » qui fixera des « obligations de défense mutuelle ». C’est très grave, car il en va de la dissuasion nucléaire française. Faudra-t-il l’utiliser en cas de conflit sur la frontière Est de l’UE ?

Et même sans parler des armes atomiques, la France gardera-t-elle une marge d’appréciation pour l’emploi de ses forces conventionnelles? Macron nous prépare à un transfert de souveraineté sur ce qu’il y a de plus régalien. Les élections européennes ne régleront pas cette question ; et si d’aventure un tel projet devait se faire jour, il nécessiterait un référendum.

Une « concurrence juste » ?

Le président se veut l’avocat d’une concurrence juste. Il n’accepte pas de « poursuivre les échanges avec ceux qui ne respectent aucune règle », notamment « environnementale », ou le « juste paiement de l’impôt ».

Il devra donc refuser l’accord de libre-échange avec Singapour, qui est un paradis fiscal, de même que celui avec le Canada (le CETA) et le Japon (JEFTA), car ces textes ne prévoient aucun mécanisme contraignant en cas de non-respect des engagements de la COP21 et pour le développement durable. Or lui et ses partisans viennent d’accepter sans sourciller lesdits accords. Un tel niveau de duplicité est insupportable.  

Quant à la « concurrence juste », qui impliquerait une réforme du droit de la concurrence, elle viendrait en appui…de l’absorption d’Alstom par Siemens ?  Mais pourquoi Macron a-t-il laissé General Electric racheter la branche Énergie d’Alstom, s’il tient tant que ça aux « actifs stratégiques »? Pourquoi a-t-il laissé un obscur pétrolier texan prendre, en 2016, le contrôle de Technip, pourtant numéro 1 mondial du parapétrolier ?

Enfin, sa « préférence européenne pour les marchés publics », sorte de « Buy European Act », est aujourd’hui interdite par les traités. Et elle est largement incompatible avec les récents accords de libre-échange qui, justement… ouvrent davantage nos marchés publics. Encore une fois, le double langage du président confine au génie.

c)       Le « Progrès » ?

Il est question d’un « bouclier social garantissant la même rémunération sur le même lieu de travail ». Rien de nouveau en réalité, puisqu’il s’agit de la réforme de la directive du travail détaché, où le salaire doit être égal, comprendre les mêmes avantages (primes etc) et inclure les cotisations sociales… salariales mais pas patronales. Or les cotisations patronales représentent en France 40% du « salaire brut chargé ».

Ne pas être obligé de les payer, comme à tout travailleur français ou résident en France, constitue justement une concurrence totalement déloyale qui ne semble pas, elle, déranger le Président.

Il est question également d’un « salaire minimum européen adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement ». C’est un piège et un enfumage. La plupart des États membres ont déjà un salaire minimum interprofessionnel et tous ont des salaires minima de branche.

Qu’apporterait un salaire minimum « européen » et en même temps “discuté pays par pays »? La formule est en elle-même contradictoire. La seule solution pour lutter contre le dumping des pays de l’Est (car c’est bien de cela qu’il s’agit) est d’imposer un salaire plancher évoluant de façon à rattraper progressivement mais résolument le niveau des salaires minima pratiqués à l’Ouest.

Sur l’environnement, Macron propose de créer une banque (européenne du climat). Comment serait-elle financée ?  On n’en sait rien. Aurait-elle des critères de gestion similaires voire identiques à ceux des banques privées ? Exigerait-elle un « retour sur investissement », une « rentabilité des fonds propres » ? À quel taux d’intérêt prêterait-elle de l’argent ? Aucune précision, ni d’ailleurs sur le type de projets soutenus. Le mot « banque » est un mot magique pour Macron.

Quant à sa proposition d’une « évaluation scientifique indépendante », elle ne sert directement qu’une seule cause : repousser la date limite d’arrêt d’utilisation du glyphosate. Une nouvelle étude viendrait en effet à point nommé pour Macron, qui ne veut pas tenir sa promesse d’arrêt du glyphosate d’ici trois ans.

Cette proposition confirme les premiers reculs officiels du gouvernement sur le sujet. Depuis le Salon de l’Agriculture, celui-ci fait sans cesse passer le message que « toutes les cultures ne pourront pas arrêter le glyphosate ». Sur les pesticides en général, la cause est de toute façon déjà entendue. Les 66.000 tonnes déversées chaque année en France conduisent à des maladies graves, à la destruction des sols et de la biodiversité. 80% des insectes ont déjà disparu. Cela ne vaut-il pas comme preuve terrible de la nocivité des pesticides?

Une Agence indépendante pourquoi pas, mais l’Agence européenne de Sécurité des Aliments l’est déjà, en théorie. Ça ne l’a pas empêchée de copier-coller les argumentaires de Monsanto. Ce qu’il faut c’est agir, pas créer des Agences qui existent déjà.

Sur l’Afrique, des belles phrases sont prononcées sur « l’investissement, les partenariats universitaires et l’éducation des jeunes filles », mais Macron ne dit pas un mot des accords commerciaux qui détruisent l’agriculture et les ressources halieutiques africaines, qui autorisent le pillage de ses ressources naturelles, qui la mettent sous coupe réglée des multinationales.

Pire : le parti européen le plus proche d’En Marche, l’Alliance des Libéraux et des Démocrates pour l’Europe (ALDE), a proposé hier la création d’une… zone de libre-échange Europe-Afrique !!! Autant dire que si cela devait arriver, nous n’aurions plus à nous poser la question d’un salaire minimum européen.

2.      Ce que ne contient pas la tribune

Il est assez étonnant, voire stupéfiant, qu’un élève si appliqué passe à côté des trois-quarts du sujet. Les trous sont béants dans ce texte, les lacunes tout aussi nombreuses qu’inexpliquées.

a)      Le PR ne dit RIEN sur la politique agricole commune (PAC)

C’est pourtant le… premier budget européen ! La PAC, sur le budget pluriannuel 2014-2020, a représenté plus de 400 MILLIARDS D’EUROS (dont 50 reversés à la France). Et Macron, qui pourtant ne se désintéresse pas des questions financières (il est ancien inspecteur des finances à Bercy), ne dit pas le moindre mot sur ce sujet. Il pourrait pourtant en parler, puisque Juncker a proposé de réduire la PAC de 15 %.

Que pense le président de ce funeste projet ? On n’en sait rien. Certes il a dit, en ouverture du Salon de l’Agriculture, qu’il faut « réinventer la PAC », pour « plus de qualité ». Nous voilà rassurés. Mais sur le fond, alors que les Européens sont de plus en plus préoccupés par l’alimentation et que notre agriculture se désespère (350€/mois pour un tiers des paysans ; 1 suicide toutes les 48h), Macron fait l’impasse complète dans cette tribune censée lancer sa campagne européenne.

b)      Le PR ne dit RIEN sur les fonds de cohésion

C’est pourtant le… deuxième budget européen ! Les fonds de cohésion, qui permettent aux Régions européennes défavorisées de recevoir des financements pour leurs infrastructures, leurs entreprises, leur éducation, représentent 370 MILLIARDS D’EUROS sur le budget 2014-2020. Pas un mot de Macron, sauf pour relever que « l’Europe ce sont aussi des milliers de projets du quotidien qui ont changé le visage de nos territoires, ce lycée rénové, cette route construite, cet accès rapide à internet ».

En effet, tous ces « projets du quotidien » sont financés via les Fonds de Cohésion. Mais sur cela, M. Macron reste inexplicablement silencieux. La Commission Juncker propose, pour 2021-2027, une baisse comprise entre 55 et 95 milliards d’euros ! Qu’en pense le chef d’État français ? Mystère.

Ça commence à faire beaucoup. Sur un budget de 1100 milliards d’euros, Emmanuel Macron en oublie 400+370=770. La « réinvention européenne » d’Emmanuel Macron laisse en friche ¾ du budget actuel de l’UE.

c)       Les paradis fiscaux européens

Emmanuel Macron ne semble pas très à l’aise avec cette question. Pourtant les paradis fiscaux européens sont une réalité. Il s’agit de Chypre, de Malte, des Pays-Bas, de l’Irlande, de la Belgique et du Luxembourg. Dans un rapport à venir, le Parlement européen estime à 25 milliards d’euros les bénéfices des multinationales soustraits au fisc français. La Commission européenne estime à 21 milliards d’euros la fraude à la TVA en France. Elle évalue même à 1000 milliards d’euros annuels le montant total de la fraude et de l’évasion fiscale dans l’Union européenne, dans leur majorité à cause des pays précités. Là non plus, pas un mot, si ce n’est une vague demande pour un « juste paiement de l’impôt ». C’est tout.

d)      Le libre-échange

On l’a vu, le PR contredit ses propres positions en restant silencieux, c’est-à-dire en approuvant les accords commerciaux déjà passés (Canada, Japon) et ceux à venir (USA, Mercosur). Ces accords sont pourtant mortifères pour l’environnement et ne font que miner notre modèle social par la guerre économique mondiale qu’ils provoquent. On attendait de lui qu’il prenne position pour l’arrêt des négociations avec les Etats-Unis, qui se sont retirés de l’Accord de Paris, de même que celles avec le Mercosur, dont la principale économie, le Brésil de Bolsonaro, veut transformer la forêt amazonienne en vaste champ agricole. Mais là encore rien.

 e)      Les services publics

Pas un mot non plus du Président sur les services publics, victimes depuis deux décennies de la libéralisation imposée par le dogme de la « concurrence libre et non faussée ». Mais l’Europe les reconnaît pourtant. Dans sa terminologie, ce sont les « services d’intérêt économique général » – fort éloignés du « service public à la française », mais qui au moins ont le mérite d’exister. Pour Emmanuel Macron, ni l’un ni l’autre n’existe. C’est d’autant plus dommage lorsqu’on se veut le héraut d’une « Europe qui protège ».

f)      La laïcité

Le texte d’Emmanuel Macron se termine par une phrase incroyable, mais pas si étonnante, vu ses nombreuses déclarations d’affection aux Églises : « mettons en place une Conférence pour l’Europe afin de proposer les changements nécessaires à notre politique (…). Cette conférence devra associer des panels de citoyens, auditionner des universitaires, les partenaires sociaux, des représentants religieux et spirituels« . Premièrement, la politique n’est pas du marketing. Procéder par audition de « panels de citoyens » relève à cet égard d’une confusion entre les deux. Mais surtout, de quel droit, et à quel titre associer les religions à la réforme des textes européens ? Il est loisible aux représentants de pays non laïques de garder une place au chaud pour les prêtres. Mais il est inacceptable que le Président de la République française laïque leur emboîte le pas !

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