La politique commerciale de l’UE a longtemps servi de bras armé des libéraux pour renforcer leur agenda de libéralisation, de dérégulation et de mise en concurrence des territoires (« Nord » versus « Sud », régions industrielles versus aires métropolitaines), des secteurs et des acteurs économiques. La Commission s’est longtemps contentée de rappeler que la libéralisation commerciale était « globalement positive », oubliant à quels points ses effets négatifs étaient parfois lourdement ressentis.
La politique libre-échangiste de l’UE, en effet, a accompagné la tendance à l’accroissement des inégalités sociales, territoriales, et économiques. Elle a beaucoup plus bénéficié aux entreprises multinationales qu’aux PME, dont une infime minorité tire avantage des dispositions contenues dans les accords de libre-échange. Elle a conforté le modèle européen d’agriculture productiviste, excessivement tourné vers l’exportation, et irresponsable d’un point de vue écologique. Elle n’a pas érigé les protections qui s’imposaient (instruments de défense commerciale, restrictions dans l’accès aux marchés publics), contribuant ainsi à accélérer la désindustrialisation. En même temps,elle n’a pas suffisamment œuvré au développement des pays du Sud et a fait l’objet de critiques légitimes quant à sa capacité à protéger les marchés locaux des pays partenaires de l’UE, et notamment la souveraineté alimentaire des pays africains.
En bref, la politique commerciale actuelle ne répond pas à nos priorités progressistes. Par ailleurs, certains nouveaux paramètres doivent être pris en compte :
– Depuis la crise financière, l’heure est à la « démondialisation ». En 2016, pour la première fois, les échanges mondiaux ont été inférieurs à la croissance mondiale.
– L’environnement commercial international s’est récemment durci : si Trump en est la manifestation la plus spectaculaire, tous nos partenaires commerciaux (USA, Canada, Japon, Australie, sans parler de la Chine, de l’Inde ou du Brésil) ont récemment mis en œuvre des dispositions destinées à mieux protéger leurs marchés
– Le changement climatique et l’épuisement des ressources, pose la question du caractère soutenable de la multiplication des échanges commerciaux
Ces nouveaux éléments doivent interroger les progressistes sur les réponses qu’ils apportent – traditionnellement fondées sur le concept d’une autre mondialisation – à la mondialisation libérale. Le concept de démondialisation a tout naturellement vocation à prendre une place de plus importante dans notre réflexion collective.
Notre grand défi est donc de construire une politique commerciale qui protège les populations (européennes et des pays en développement), les territoires (économies locales, petites entreprises), et l’environnement. La politique commerciale peut devenir un instrument de stabilité et de sécurité plutôt qu’un vecteur de déstabilisation.
Voici quatre pistes :
– Rapprocher les lieux de production et de consommation. Certaines activités économiques revêtent un caractère structurant pour les territoires, et leur délocalisation a un impact négatif, non seulement en termes économiques et sociaux, mais également en matière écologique. Dans ces conditions, l’introduction d’un Buy European Act / Buy Local Act (avec conditionnalité environnementale et sociale) ne manquerait pas de pertinence.
– Prévenir les pertes au lieu de compenser les perdants. La Commission a récemment mis l’accent sur la nécessité de mieux compenser les perdants (populations et territoires victimes de la désindustrialisation) de la mondialisation. C’est une évolution positive mais évidemment insuffisante : elle doit faire plus pour identifier, en amont (via des études d’impact), les perdants éventuels, afin d’exclure le cas échéant le secteur concerné des projets de libéralisation.
– Mieux protéger les tissus industriels du dumping commercial, social, environnemental et fiscal. La désindustrialisation n’est pas une fatalité, elle est aussi liée à une impuissance politique organisée : l’Union européenne doit pouvoir opposer des instruments de défenses commerciales aux pratiques commerciales déloyales, mais également sanctionner les activités anti-écologiques, anti-sociales ou anti-fiscales.
– Exclure les secteurs agricoles (sensibles) des accords commerciaux. L’urgence est à la transformation du modèle agricole productiviste en modèle plus durable, assis sur les circuits courts et la qualité. La politique commerciale actuelle a pour effet de conforter et d’exporter le modèle productiviste, dans une sorte de course au moins-disant. Une politique commerciale refondée doit prendre en considération l’indispensable changement de paradigme agricole.