Du dernier texte de l’écrivain danois Stig Dagerman, rédigé très peu de temps avant son suicide, je ne me souviens que du titre, à la fois magnifique et poignant : « Notre besoin de consolation est impossible à rassasier ». Dagerman était un pessimiste à la mode scandinave, et je n’entends pas discuter ici de sa conception assez déprimante de l’existence et de sa vanité dans un monde sans Dieu.
Mais j’ai toujours trouvé cette phrase frappante de justesse : face aux drames de la vie, aux injustices insupportables (comme celles qui touchent les familles de Manchester hier, ou celles, coptes, en Egypte aujourd’hui), il y a un temps indispensable, celui de la déploration et celui de la consolation. Oui, consoler nos frères et sœurs en humanité, surtout quand ils sont inconsolables, c’est un devoir élémentaire, un impératif catégorique.
Consolatio. Pendant longtemps d’ailleurs, du temps où la poésie faisait encore partie de la vie des gens, il y avait une tradition littéraire bien ancrée, celle de la « consolatio ». Chez les auteurs latins (Sénèque y excellait), puis chez leurs imitateurs européens (et notamment français), c’était une façon de présenter ses condoléances à un particulier tout en livrant des pensées à portée générale.
La plus fameuse des consolations françaises, c’est celle due à Perrier, par Francois de Malherbe, dans laquelle figurent quatre de plus beaux vers de la poésie française, hélas généralement attribués à Ronsard : « Mais elle était du monde où les plus belles choses/ont le pire destin/et rose elle a vécu ce que vivent les roses/l’espace d’un matin ».
Les victimes et leurs familles, d’où qu’elles viennent, méritent ces manifestations publiques : hommages, minutes de silence, drapeaux en berne, autels improvisés
Cet exercice rhétorique a pu paraître, a posteriori, comme artificiel, voire rébarbatif, en raison de sa finalité didactique. Mais c’est la marque des rituels, dont la rigidité formelle et le caractère immuable apaisent : ils agissent comme un baume réparateur.
Les victimes et leurs familles, d’où qu’elles viennent, méritent ces manifestations publiques : hommages, minutes de silence, drapeaux en berne, autels improvisés et, dans certains cas, interruptions de campagne électorale. Que la nation, voire le monde entier, communie dans le recueillement, c’est déjà une réponse aux assassins.
J’écris ces lignes depuis Amman, la capitale de la Jordanie, pays lui aussi frappé par le terrorisme, une petite nation pauvre mais riche de ruines glorieuses (Petra, Jerash), abritant sur son sol des lieux parmi les plus sacrés (la Béthanie, le Jourdain), jadis repaire des bédouins et des aventuriers. Un pays qui a plus de chance avec son histoire (dont TE Lawrence tira un livre singulier, Les sept piliers de la sagesse) qu’avec sa géographie. Voisin d’Israël, de l’Irak, de la Syrie, de l’Arabie saoudite, doté d’un minuscule accès maritime (juste un petit coin de Mer rouge près d’Aqaba), dépourvu de ressources naturelles (un des quatre pays du monde les plus pauvres en eau).
Folie terroriste. Les guerres en Irak et en Syrie ont privé la Jordanie de ses principaux débouchés commerciaux. La crainte de la folie terroriste a tari l’une de ses principales ressources, le tourisme. Et pourtant, en vertu d’une tradition séculaire d’hospitalité, la dysnatie hachémite au pouvoir a fait le choix d’ouvrir des frontières pour accueillir des centaines de milliers de réfugiés. Près de deux millions en fait. Plus d’un quart de la population. Oui, un quart !
Au moment où certains pays d’Europe imaginent tout un arsenal répressif à l’encontre des « migrants » (qu’on en juge aux mesures abjectes que la Hongrie d’Orban vient de décider), où nombre d’exilés continuent de mourir en Méditerranée, où les 27 sont à la merci de la Turquie qui se livre envers eux à un chantage coupable, il est bon de rappeler que ce sont les pays du Sud, et pas forcément les plus riches (Jordanie donc, mais aussi Liban et Tunisie) qui prennent en charge la solidarité de voisinage.
A la frontière syrienne, j’ai visité, avec des collègues parlementaires, le deuxième plus grand camp de réfugiés du monde. 80 000 Syriens attendent (depuis des années) d’y rentrer chez eux. Pour la plupart, ils vivaient en toute quiétude, à moins de cent kilomètres de là. J’ai pu mesurer le dévouement extraordinaire des personnels des Nations Unies, des multiples ONG présentes sur place, la détermination tranquille des professionnels de santé, des éducateurs, des professeurs qui, dans des conditions difficiles, tentent d’offrir aux expatriés forcés une vie décente.
L’intégration ne se fait pas toujours sans difficultés, comment pourrait-il en être autrement ? D’autant que l’immense majorité des réfugiés vit librement dans les grandes villes du Nord, aux côtés d’une population qui, pas plus qu’une autre, n’a vocation aux sacrifices.
La « guerre contre le terrorisme », si elle passe par la traque inlassable des commanditaires des attentats implique aussi d’augmenter les moyens en faveur des Etats qui sont en première ligne
Pôle de stabilité. Certes, la Jordanie n’est pas abandonnée. Son allié de toujours, les États-Unis, n’a pas déserté le terrain. L’Union européenne l’aide aussi (pas assez), qui sait que l’avenir de la région, mais aussi le sien, passe par la consolidation des rares pôles de stabilité au Proche et Moyen Orient.
Car la « guerre contre le terrorisme », si elle passe par la traque inlassable des commanditaires des attentats, par une action résolue pour les priver de leurs bases arrière, par l’amplification des efforts en matière de renseignement de terrain, implique aussi d’augmenter les moyens en faveur des Etats qui sont en première ligne. Endiguer le fondamentalisme en menant une implacable lutte idéologique, rétablir la paix dans des pays dévastés, assurer le développement économique des régions exsangues et, dans le même temps, trouver une solution rationnelle et humaine au problème des réfugiés.
Nous le pouvons et le devons. Afin que, au-delà de consoler, nous puissions satisfaire une aspiration tout humaine : celle d’espérer.