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Le temps du libre-échange sans limite est révolu, changeons de logiciel !

MediapartHuit députés européens socialistes, originaires de différents États, définissent ici les contours d’une politique commerciale progressiste, adossée à de nouveaux critères : «la régulation de la finance internationale, la lutte contre le changement climatique, ou la promotion de l’agenda 2030 pour le développement durable».

La semaine dernière, la Commission européenne publiait un document de réflexion, intitulé « Maîtriser la Mondialisation », dont une partie est consacrée au commerce. Pour la première fois, elle reconnaît certains effets négatifs de la mondialisation – l’augmentation des inégalités, notamment – mais, une fois encore, elle reste trop timide sur les propositions pour y remédier. Et pourtant, s’il y a bien une matière sur laquelle la Commission devrait revoir son approche, c’est bien sa politique commerciale. Depuis des années et encore plus depuis l’arrivée de Trump et sa stratégie du rapport de force le libre- échangisme à outrance est présenté comme la seule réponse. La Commission accélère ainsi ses négociations avec le Mexique, le Japon, le Mercosur ou le Chili, dessine les contours de nouveaux accords avec l’Australie et la Nouvelle Zélande et s’apprête à en conclure avec le Singapour et le Vietnam.

On nous fait croire qu’il n’existe que deux manières possibles de faire du commerce : la fermeture totale des frontières (protectionnisme) ou l’ouverture maximale (libre échange). Ces deux voies sont dangereuses car destructrices de bien-être. La globalisation est un fait, mais le seul moyen de la maîtriser, c’est d’y insérer des règles protectrices, au service des citoyens. C’est la meilleure voie à suivre.

Les auteurs de la « Déclaration de Namur » ont vu juste : si elle n’évolue pas radicalement dans ses méthodes comme dans son contenu, la politique commerciale de l’Union européenne est condamnée. Il n’est pas ici question de remettre en cause l’importance du commerce pour nos économies mais d’acter l’échec du libre-échangisme généralisé. Trouvons désormais un débouché concret au concept de « juste-échange ». Eurodéputés socialistes, nous émettons des propositions dans ce sens, pour une nouvelle politique commerciale. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été entendus.

La nouvelle politique commerciale que nous appelons de nos vœux requiert un préalable indispensable. Nous devons réconcilier la négociation d’accords commerciaux avec les procédés démocratiques les plus élémentaires. Tous les mandats de négociation doivent être débattus par les assemblées parlementaires compétentes, et être rendus publics. Toutes les franges de la société civile doivent être associées à la délibération. Il faut en finir avec cette situation, dans laquelle les grands groupes et leurs puissants lobbies sont, finalement, les décideurs.

Mais un tel changement formel ne suffirait pas : nous devons initier une véritable révolution du contenu des accords commerciaux, combinant nouvelles exigences et nouveaux objectifs.

Nous devons exiger des négociateurs européens qu’ils soient plus intransigeants lorsqu’il s’agit du respect de nos normes et des préférences collectives. Nous devons assumer et faire rayonner notre modèle social, en exigeant une exclusion encore plus claire des services publics du champ de ces traités, et en privilégiant le système dit des « listes positives » qui définit, de manière limitative, quelles activités peuvent être ouvertes à la concurrence.

Nous devons réclamer des futurs accords commerciaux de promouvoir la convergence par le haut et la lutte contre toutes les formes de dumping. Des chapitres « développement durable » contraignants et assortis de mécanismes de sanction doivent être insérés pour empêcher l’abaissement des normes sociales, environnementales ou sanitaires, qui aujourd’hui sont devenues les variables d’ajustement pour rendre les exportations plus compétitives ou attirer les investissements.

L’Europe ne peut plus laisser planer le doute sur sa détermination à défendre la puissance publique face aux forces du marché. C’est la raison pour laquelle tout mécanisme d’arbitrage privé est inacceptable. Le règlement des différends commerciaux doit être pris en charge par les juridictions nationales publiques en premier lieu. Et seule une analyse de risque factuelle et étayée peut justifier la présence dans un accord d’un dispositif alternatif de protection des investisseurs étrangers, à condition que celui-ci respecte les règles de transparence, d’indépendance et le principe de souveraineté dans l’intérêt des populations.

Les dirigeants européens, doivent prêter davantage d’attention aux perdants de la libéralisation commerciale. Cela concerne notamment les petits paysans et les éleveurs : ces derniers subissent de plein fouet l’importation de produits compétitifs qui viennent bouleverser des marchés déjà saturés. La politique commerciale de l’UE doit encourager la mutation de notre système agricole et sa transition d’un modèle productiviste, excessivement tourné vers l’exportation, à une agriculture de proximité. À cette fin, l’UE devrait systématiquement exclure toute concession sur les produits considérés comme étant les plus sensibles, comme le bœuf, la volaille, le riz, le sucre…

Enfin, face aux défis du XXIème siècle et aux excès de la mondialisation dérégulée, la politique commerciale, loin de n’être qu’un outil mercantiliste, doit être placée au service d’objectifs multilatéraux tels que la régulation de la finance internationale, la lutte contre le changement climatique, ou la promotion de l’agenda 2030 pour le développement durable. C’est pourquoi nous exigerons l’introduction de clauses de conditionnalité fiscale, qui rendraient contraignant le respect des conventions multilatérales en la matière et empêcheraient ainsi les pratiques de dumping fiscal entre les parties à un accord. Nous proposerons, enfin, l’inclusion d’objectifs climatiques chiffrés.

C’est à l’aune du respect de ces critères que nous nous prononcerons, à chaque fois que de nouveaux accords de libre-échange arriveront sur la table du Parlement européen.

Signataires :

Emmanuel Maurel, eurodéputé S&D français

Marie Arena, eurodéputée S&D belge

Georgi Pirinski, eurodéputé S&D bulgare

Jude Kirton Darling, eurodéputée S&D britannique

Agnes Jongerius, eurodéputée S&D néerlandaise

Pier Antonio Panzeri, eurodéputé S&D italien

Ana Gomes, eurodéputée S&D portuguaise

Dietmar Köster, eurodéputé S&D allemand

Karoline Graswander-Hainz, eurodéputée S&D autrichienne

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