Il en est des campagnes électorales comme du patinage artistique : il faut se soumettre à de fastidieuses figures imposées avant de s’ébrouer dans le champ des figures libres, qui seules marquent les esprits. Affiches officielles, professions de foi, clips de campagne : l’originalité n’y est pas franchement de mise, et chaque candidat(e) semble répondre à une implicite injonction : faites chiant.
De ce point de vue, l’édition 2017 n’échappe pas à la règle. J’ai regardé les premiers films (formats court et long) destinés à être diffusés aux heures de grande écoute sur les chaînes nationales. Manque de moyens, manque de temps, cahier des charges relativement rigide : aucun ne soulève vraiment l’enthousiasme. Pour l’instant (car on en annonce d’autres), la plupart s’illustrent par un classicisme un tantinet vieillot, peu éloigné de celui qui préside à la confection des «Expressions directes» qui agrémentent les nuits des insomniaques. C’est tant mieux : après des mois de suspense, de renversements de situation, de coups d’éclat et de coups bas, ça repose. Et puis c’est la fonction de ce rite républicain, qui marque la permanence des institutions et des procédures démocratiques.
Baudelaire écrit que «là où la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense». Ce n’est clairement pas le cas en matière de communication institutionnelle. Certains candidats, et pas forcément ceux qui sont promis à un score modeste, continuent d’opter pour un désastreux plan fixe sur fond pastel. D’autres s’essaient à la mise en scène plus sophistiquée. Le message politique est sommaire (en gros, le candidat aime la France, ce qui est, convenons-en, un pré-requis indispensable) et compte moins que la mise en lumière d’une personnalité. Dans ce registre, les versions longues de Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen sont des modèles. On reconnaît aisément l’esthétique des séries américaines moyenne gamme : musique électronique, fortes basses, travellings assez grossiers et fondus-enchaînés ratés.
Une moissonneuse-batteuse dans un champ à la fin du printemps, des ouvriers sur un chantier, des fonctionnaires à l’écoute: sans les sous-titres, on se croirait dans un pub pour agence d’intérim
La plupart des prétendant(e)s multiplient les scènes de genre. Pour souligner l’attention à la France au travail, une moissonneuse-batteuse dans un champ à la fin du printemps, des ouvriers sur un chantier, des fonctionnaires à l’écoute : sans les sous-titres, on se croirait dans un pub pour agence d’intérim. Pour célébrer la centralité politique du candidat, le (la) montrer au milieu des foules sentimentales, haranguées jusqu’à incandescence. Enfin, pour témoigner d’un caractère trempé, rien ne vaut le spectacle de la mer toujours recommencée. Face à elle ou naviguant sur ses flots, le regard perdu au loin vers l’horizon, l’homme (la femme) face aux éléments s’apprête à affronter son destin.
Truffaut et la plénitude. Bien sûr, on sera plus indulgent avec ceux que l’on aime. Ainsi, je sais gré à Benoît Hamon d’avoir fait appel à la talentueuse réalisatrice Valérie Donzelli, qui pousse le bon goût jusqu’à rendre hommage, dans un clip électoral, à l’un des films les plus lumineux de Francois Truffaut : car c’est bien la musique de La Nuit américaine ( le fameux grand choral composé par Georges Delerue) qui accompagne les extraits de discours du candidat socialiste. A ceux qui l’ont vu ou qui auront la chance de le découvrir, je rappelle que ce morceau très haendelien (un journaliste du Figaro le qualifie, horreur, de «kitsch»!) éclate au milieu du film, au moment où le réalisateur de Je vous présente Pamela (Truffaut lui-même) se réjouit, en voix off, de l’harmonie enfin trouvée sur le tournage : «Les acteurs sont à l’aise dans leurs personnages, l’équipe est bien soudée, les problèmes personnels ne comptent plus». Les esprits taquins y verront peut-être un message subliminal. Je m’en tiens au premier degré : cette musique célèbre une sorte de plénitude conquise de haute lutte, qui colle assez bien avec l’objectif de Benoît Hamon, celui d’une France réconciliée avec elle-même.
Soyons lucides : à l’exception des hypermnésiques, des chercheurs et des passionnés, tout le monde aura oublié ces publi-reportages dans quelques années. Dans nos mémoires sélectives, seul surnage, pour les plus anciens d’entre nous, le coup de génie des communicants de Mitterrand en 1988. Rythme de tambour sec (qui préfigure celui des légions mondiniennes du bicentenaire un an après), 500 images en 80 secondes, couvrant toute l’ère moderne, de la Révolution au XXe siècle finissant. Pas un seul commentaire. Juste des images en accéléré comme au temps d’avant le cinématographe. Toutes les grandes figures de l’Histoire nationale sont convoquées, les monstres et les héros, les événements glorieux ou dramatiques, les artistes, les scientifiques, les grands écrivains, les sportifs, les chanteurs populaires, les avant-gardes, les monuments (de la construction de la Tour Eiffel à celle de la pyramide du Louvre).
Le parti pris, c’est de ne pas faire de choix. Ici, pas de camp du Bien. Le Président embrasse tout, assume l’ambivalence du récit national, sa complexité, enrôlant derrière lui ses adversaires comme ses modèles, et le clip est une métaphore visuelle d’une sorte d’Aufhebung final, qui marque la résolution provisoire des contradictions hexagonales. Le chantre de la France unie, qui avait compris l’essentiel, à savoir que la politique n’est jamais que de l’histoire et de la géographie, nous dit tranquillement : «Le pays, c’est moi».
Or nous avons beau nous mouvoir désormais dans l’ère 2.0, chaque élection présidentielle est l’occasion de rejouer l’Histoire de la France moderne. Les tendances lourdes s’y révèlent avec plus ou moins d’acuité, mais de manière générale, une grande nation n’échappe pas à son destin politique. Chez nous, c’est l’oscillation régulière entre haine et besoin du chef, entrecoupées de périodes d’équilibre plus ou moins stable, la difficile conciliation entre la passion égalitariste et le vertige autoritaire. Les Français veulent un roi, pour mieux pouvoir lui couper la tête. Ou, maintenant que les temps sont plus modérés, préférer le «ça ira» entonné lors de la fête de la Fédération de 1790 à celui de 1793 : «Ah ça ira, ça ira, ça ira, celui qui s’élève, on l’abaissera».
C’est la raison pour laquelle j’amende une hypothèse de ma précédente chronique. Je notais la prégnance bonapartiste. J’oubliais de souligner qu’elle s’accompagne toujours de son pendant apparemment contradictoire : la référence révolutionnaire. Les quatre candidats favoris (d’après les sondages) se réapproprient chacun le concept, avec de singulières variantes : conservatrice pour Fillon, libérale pour Macron (qui en a fait le titre de son livre-programme), nationale pour le Pen, la révolution se veut citoyenne chez Mélenchon.
Pour les sceptiques, ce ne sont jamais que des mots. Mais il ne faut pas s’y tromper. Notre pays reste travaillé par l’Histoire, son tumulte et son fracas. L’ignorer, c’est s’exposer à de graves déconvenues.
http://www.lopinion.fr/edition/politique/presidentielle-clips-fin-124462