Pour devenir président de la République française, il ne suffit pas de flatter les généreuses croupes bovines, de remplir des salles enthousiastes, de frapper les esprits avec des mesures phares et un slogan choc. Parmi les figures imposées qui crédibilisent un dirigeant et assoient une « stature », il y a le déplacement à l’étranger.
De même qu’au XIXe siècle les écrivains en herbe issus de la bourgeoisie devaient se plier au rituel du tour d’Italie ou du voyage en Orient (un genre littéraire en soi) pour gagner leurs galons d’artistes confirmés, de même l’aspirant chef d’Etat se doit de parcourir le vaste monde à la recherche de télégéniques poignées de main.
C’est donc un grand classique électoral : le déplacement à l’étranger, qui permet aussi de rencontrer nos compatriotes expatriés et, plus récemment, de lever des fonds, contribue surtout à lester le candidat à la présidentielle d’un savoir-faire diplomatique et étoffe un CV international parfois trop mince.
Au temps du quinquennat, de l’info en continu et du tweet, rester trop longtemps à l’étranger serait perçu comme une forme de tourisme
François Mitterrand, qui n’était pourtant pas novice en la matière, avait fait de son voyage en Chine, en février 1981, un élément à part entière de sa stratégie de campagne. Une dizaine de jours au pays de Deng Xiaoping ! Son vieux complice, le regretté Claude Estier, racontait qu’il s’agissait aussi de fuir une atmosphère parisienne délétère, un climat politique rendu irrespirable par les incessantes attaques des giscardiens qui commençaient à prendre peur pour leur champion.
Dans la Chine communiste, Mitterrand avait rencontré dirigeants et dissidents, sans oublier, en gage d’ouverture aux mystères des civilisations anciennes, un court séjour dans la ville natale de Confucius : quoi de mieux en effet, pour comprendre l’esprit d’un peuple, que d’aller fouler la terre d’un de ses plus vénérables ancêtres ?
Au temps du quinquennat, de l’info en continu et du tweet, rester trop longtemps à l’étranger serait perçu comme une forme de tourisme. Et puis, il se passe toujours quelque chose sur le sol de France qui impose au candidat d’intervenir. Désormais, une rencontre éclair et un cliché bien exposé valent mieux que de longs discours ou de harassantes visites. Mais l’idée demeure : il faut être vu en compagnie des hommes et des femmes qui comptent sur la planète.
Café amer. Et personne n’échappe à la règle. Ainsi, Marine Le Pen, pourtant autoproclamée candidate « anti-système », a fait des pieds et des mains pour un échange, même furtif, avec le nouveau maître du monde. Las, elle a dû se contenter d’un café amer au premier étage de la Trump tower.
A l’autre bout de l’échiquier politique, Benoît Hamon a fait de sa rencontre avec Bernie Sanders un argument (efficace) de campagne pendant la primaire. Et son premier déplacement, au Portugal, ne devait rien au hasard : la gauche rassemblée y a récemment conquis le pouvoir.
Emmanuel Macron, quant à lui, a l’intention de cocher toutes les cases : rôle de la France dans le monde (visite en Algérie), ouverture à la mondialisation (Londres et New York), et enfin, last but not least, ce deuxième voyage à Berlin, à l’occasion duquel le héraut du ni droite ni gauche a pu rencontrer la femme forte de l’Europe, Angela Merkel.
Le voyage vaut message : avec Macron le sacro-saint « couple franco-allemand » sera préservé. Et nombre d’éditorialistes de titrer, sans broncher, que Macron est « le plus européen » du scrutin
Celle-ci, dont le parti, la CDU, est officiellement proche des Républicains français, s’est empressée de faire savoir que poignée de mains ne vaut pas soutien. Mais l’image seule compte. Et comme dans la foulée Macron a rencontré son ancien homologue Sigmar Gabriel, membre du SPD, le parti frère du PS, qui a fait assaut de propos aimables, le tour est joué. D’autant que le Spiegel s’enflamme pour le nouveau « messie centriste ».
Le voyage vaut message : avec Macron le sacro-saint « couple franco-allemand » sera préservé. Et nombre d’éditorialistes de titrer, sans broncher, que Macron est « le plus européen » du scrutin.
Plan A. Malhonnêteté avérée puisque, parmi les candidats importants, seule Marine Le Pen est ouvertement europhobe. Ni Benoît Hamon, dont on a pu vérifier une fois encore, dimanche à Bercy, l’attachement à la construction européenne, ni François Fillon ne remettent en cause l’appartenance à l’Union ou à la monnaie unique. Et si Jean-Luc Mélenchon conteste les traités européens au point d’envisager un possible plan B, personne ne fait l’effort de considérer son plan A, qui reprend les revendications classiques de la gauche sur l’harmonisation sociale et fiscale.
Si l’on était caricatural (et ses partisans ne se privent pas de l’être), on dirait que le voyage à Berlin du candidat d’En Marche ! n’avait pas pour seule fonction de rappeler l’engagement pro-européen de la France. Il s’agissait aussi de rassurer la chancelière, et de laisser entendre que notre pays, si par hasard Emmanuel Macron en devenait le Président, n’envisageait pas de remettre en cause des règles qui ont pourtant fait la preuve de leur funeste inefficacité. Promis, on ne dérangera en rien l’ordre européen établi.
Si l’on était caricatural, on écrirait aussi que la recherche de l’adoubement merkelien en dit long sur la conscience malheureuse d’une partie « du camp du oui » (dont Jean-Pierre Jouyet, ministre sous Nicolas Sarkozy, secrétaire général de l’Elysée sous François Hollande et soutien enthousiaste d’Emmanuel Macron, est, sans conteste, la plus pure incarnation), qui a toujours autant de mal à digérer le verdict de 2005. Comme si le « non » était une faute à expier. Comme s’il fallait inlassablement s’excuser, sous prétexte que notre peuple avait mal voté.
Étonnante séquence en tout cas : au moment où certains socialistes français rêvent, à haute voix, d’une improbable Grande Coalition, leurs homologues d’outre Rhin semblent, par l’entremise de la candidature de Martin Schulz, plutôt désireux de tourner la page.