L’évasion fiscale fournit le meilleur exemple de la duplicité des Etats. En coulisse, certains luttent pour que l’IS à 0 % ne serve plus à définir un paradis fiscal.
Lundi 23 janvier, le tribunal de Dax relaxait un militant qui volait des chaises dans les agences des banques pratiquant l’évasion fiscale, avec comme mot d’ordre : « Rendez-nous les milliards soustraits au contribuable, nous rendrons les chaises. » Cette petite victoire illustre une grande défaite : aucune des grandes institutions financières responsables de l’évasion et de l’évitement fiscaux ne se retrouve au tribunal du côté des accusés. Il y a pourtant un juge de paix qui possède les moyens de rétablir l’égalité devant l’impôt : c’est l’Etat.
En effet, l’évasion fiscale est par essence un phénomène mondialisé, qui joue des failles entre les différentes législations, qui souffle sur les braises du dumping fiscal entre les pays, qui requiert, enfin, une approche globale et une coopération multilatérale.
Rapport de force
Pour autant, doit-on renvoyer toute la responsabilité vers une nébuleuse « communauté internationale » ou un indistinct « Bruxelles » ? Ce serait ignorer, ou feindre d’ignorer qu’à Bruxelles, comme au G20, comme à l’ONU, les décisions ne sont que le résultat des rapports de forces entre les positions des Etats. Et l’évasion fiscale fournit le meilleur exemple de la duplicité des gouvernements européens, le meilleur exemple de l’opacité des prises de décision, le meilleur exemple, enfin, de l’amalgame répandu entre les trois institutions bruxelloises (Parlement, Commission, Conseil). Cette confusion profite au Conseil, c’est-à-dire aux gouvernements, qui peuvent cacher leur absence d’ambition derrière la bannière « Europe ».
L’Europe, au terme d’un agenda plutôt réformateur lancé par la Commission européenne, et sous la pression de positions très fermes des ONG et du Parlement européen, est en train d’élaborer une liste européenne des paradis fiscaux. Le Parlement européen, à travers de nombreux rapports, s’est prononcé en faveur d’une liste assez fournie de pays, à laquelle seraient associées des sanctions claires. La Commission a ensuite adressé aux Etats des propositions de critères à retenir pour la définition européenne d’un paradis fiscal.
Cas d’école
Les Etats discutent depuis de longs mois sur ces critères, au sein d’une instance opaque, le groupe « Code de conduite ». Et c’est dans cette enceinte qu’une polémique proprement lunaire s’est installée entre les ministres des Finances – ou leurs représentants. Elle consiste à savoir si un taux d’impôt sur les sociétés (IS) de 0 % constitue un critère recevable pour caractériser un paradis fiscal.
Mais un groupe d’Etats, parmi lesquels tous les pays historiquement laxistes en matière fiscale (Luxembourg, Pays-Bas, etc.), a obtenu fin 2016 que ce critère ne suffise pas à lui seul. Maintenant, certains souhaiteraient même le voir disparaître. Et supprimer purement et simplement la mention d’un taux de 0 % comme critère parmi la liste de ce qui fait un paradis fiscal. Ironie du sort ou cynisme consommé pour préparer sa stratégie de dumping fiscal une fois qu’il aura quitté l’Union européenne, le Royaume-Uni est à la tête de ce groupe d’Etats qui bloquent la liste européenne des paradis fiscaux.
Nous nous trouvons donc face à un cas d’école des dysfonctionnements de l’Union européenne : l’agenda de la Commission permet d’ouvrir de modestes réformes, le Parlement est volontariste mais privé de moyens sérieux, et les Etats détricotent l’ambition initiale du projet. Ce sont les mêmes gouvernements qui, au prochain sommet du G20, vont peut-être s’auto-congratuler des progrès réalisés en matière de transparence fiscale, après les avoirs réduits à peau de chagrin. Ce sont eux aussi – mais le savent-ils ? – qui risquent leur mandat et surtout la crédibilité des institutions publiques de leur pays à force de pusillanimité. Les populations sont excédées par l’inégalité radicale face à l’impôt, qui n’est rien d’autre qu’une rupture du contrat démocratique.
Emmanuel Maurel, député européen, est membre de la commission d’enquête sur les Panama papers.
A retrouver sur le site des Echos