Il n’est jamais bon de tricher avec son lecteur. Je veux consacrer cette modeste chronique aux premiers débats de la primaire dite de la « Belle alliance populaire », tout en précisant d’emblée que j’en suis partie prenante. Soutien actif d’Arnaud Montebourg, je souhaite ardemment sa victoire. Mais cela n’empêche pas de prendre un minimum de recul.
Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, les deux principaux partis de gouvernement (le seront-ils encore a l’issue de l’élection présidentielle ? Rien n’est moins sûr) ont recours, quasi simultanément, à une procédure de pré-sélection démocratique en leur sein pour désigner leur candidat à l’Elysée. On est donc fondé à comparer les deux exercices, étant entendu que la mobilisation de la droite, tout entière tendue vers l’espoir d’une reconquête, sera forcément plus importante que celle de la gauche socialiste, troublée par un quinquennat si déconcertant qui s’est conclu par un renoncement inédit, celui du Président en exercice.
Les socialistes sont sortants, et leur électorat est majoritairement déçu, ou à tout le moins circonspect. Or même si les citoyens sont, comme les commentateurs et les acteurs politiques eux-mêmes, de grands oublieux, il est difficile de dissiper les impressions suscitées par un exercice de l’Etat auquel ont participé, et certains jusqu’à il y a quelques semaines encore, les principaux protagonistes de la compétition à gauche. Dès lors, la question de la crédibilité (ou même de la confiance) se pose différemment à gauche qu’à droite. François Fillon a pu multiplier les promesses, parce que les souvenirs de son quinquennat primo ministériel s’estompent déjà. Ce n’est pas le cas ici. Les socialistes sont condamnés, et c’est finalement heureux, à une forme de rigueur et de précision dans l’exposition de leurs propositions. Cela n’exclut pas de préconiser ruptures ou fortes inflexions : mais celles-ci doivent procéder de solides arguments.
C’est le défi collectif des socialistes : persuader que rien n’est écrit, que rien n’est joué
Reste que le résultat de la primaire dépendra beaucoup de la façon dont le peuple de gauche entre dans cette « séquence présidentielle. » Si la majorité des votants est persuadée que la gauche a vocation à revenir dans l’opposition, la « présidentialité » ne sera pas un argument décisif. Si au contraire les candidats arrivent à les convaincre (à supposer qu’ils le veuillent) que la « gagne » est possible (l’hypothèse n’est d’ailleurs pas totalement farfelue, tant ce scrutin est marqué par une incertitude inédite), alors la primaire prendra un autre tour. C’est le défi collectif des socialistes : persuader que rien n’est écrit, que rien n’est joué.
Electeurs putatifs. J’entends dire que si les électeurs putatifs considèrent que le seul débat qui compte désormais est celui qui oppose Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, alors la donne est changée. Je n’en suis pas sûr : quand on leur demande leur avis, les citoyens ne se privent pas de le donner. Quitte à changer de vote ensuite, lors du « vrai » scrutin. C’est désarmant, mais il va falloir s’y faire.
Instruit par l’expérience de la primaire de droite, plus personne ne se hasarde à délivrer le moindre pronostic. Participation, candidats en tête, surprises : nous savons que tout est possible. Il vaut donc mieux se concentrer sur le seul objectif rationnel : éclairer le débat en le prenant au sérieux. Car l’exercice, parfois fastidieux, ne se réduit pas à la seule publicité comparative : bien sûr, les personnalités des candidats, leur CV, leur histoire, leur style, tout cela compte. Mais le débat idéologique et stratégique, comme Fillon l’avait crânement déclaré, reste essentiel.
Chaque candidat est porteur d’une vision du monde et de la société. Le duel Fillon/Juppé révélait de vraies divergences de vues. Les deux débats télévisés de gauche aussi.
Bien sûr, il y a des « invariants structurels ». Les socialistes consacreront plus de temps aux questions économiques et sociales, moins à l’immigration. Moins de temps à l’islam, plus à l’environnement. Cela n’empêche pas les surprises : il y a quelques années encore, les exécutions ciblées perpétrées par les services spéciaux à l’encontre de nos ennemis, parfois ressortissants français, auraient soulevé de légitimes interrogations. Lors du premier débat, tous les candidats se sont rangés à l’argument de la raison d’Etat. Les attentats sont passés par là.
Au-delà du socle commun, les différences sont aisément perceptibles.
Partition attendue. L’appréciation relative au bilan du quinquennat de François hollande n’a pas, comme on aurait pu le penser il y a deux mois, occupé le devant de la scène. En jetant l’éponge, le principal intéressé à permis de ne pas transformer la primaire en simple référendum. Chacun s’est contenté de jouer la partition attendue (Manuel Valls fier de l’action accomplie mais sans en faire trop, les frondeurs raisonnablement sévères, Vincent Peillon nuancé).
De même, la question stratégique (celle des alliances et de la singularité, ou non, de la « gauche de gouvernement ») est abordée superficiellement : seul François de Rugy reprend à son compte la théorie des gauches irréconciliables, en s’attaquant à Jean-Luc Mélenchon.
La discussion tourne en réalité autour des sujets économiques. Ce « back to basics » est assez logique, tant la gauche est majoritairement convaincue (à tort ou à raison) que le problème des inégalités et du chômage de masse mine la société, bien plus que les questions dites identitaires. Rôle de l’Etat dans l’économie, importance du tiers-secteur, opportunité de la relance, politique salariale, stratégie européenne : ce retour aux fondamentaux était inévitable après cinq années peu convaincantes.
Entre Montebourg et Hamon, en dépit de nombreux points communs, on retrouve un peu du clivage qui séparait jadis première et deuxième gauches
Au fil des débats, par petites touches, on redécouvre les familles idéologiques qui ont coexisté au sein du Parti socialiste depuis sa création.
Ainsi, entre Montebourg et Hamon, en dépit de nombreux points communs, on retrouve un peu du clivage qui séparait jadis première et deuxième gauches. Nombreux sont ceux qui ont oublié cette dichotomie, qui culmina lors du fameux congrès de Metz. Les historiens ont retenu de cet affrontement le choix entre rupture et réforme, mais il y avait aussi un arrière-plan intellectuel qui subsiste à l’état de substantielles traces : le rapport à l’Etat, à l’idée de croissance, le concept de fin du travail (sous jacente à toute proposition de « revenu universel »), le couple dissonant entre république et démocratie.
De la même façon, le débat (feutré) entre Peillon et Valls réveille un questionnement jamais vraiment tranché à la fin des années quatre-vingt-dix. La candidature de l’eurodéputé philosophe témoigne d’une volonté (certains diront d’une nostalgie) toute jospinienne (et mitterrandiste avant elle), celle des synthèses fécondes – quoique parfois bancales — entre courants antagonistes, d’un équilibre compliqué mais garant d’une certaine centralité politique.
Au contraire, Manuel Valls, qui fut certes un pilier du rocardisme de gouvernement (différent du rocardisme originel, attentif aux dynamiques sociales et proches du syndicalisme), rejoue, à sa façon, la partition d’un Tony Blair qui alliait libéralisme économique, priorité aux questions de sécurité, triangulation assumée, et mise en scène de l’autorité.
Quelles seront les options privilégiées par les électeurs socialistes ? Nous serons fixés dans moins d’une semaine.