Les conflits d’intérêts impliquant ces deux ex-commissaires sapent les fondements des institutions européennes.
Deux semaines seulement après le vote des Britanniques en faveur du Brexit, l’Europe apprend que l’ancien président de la Commission européenne conseillera désormais la banque d’affaires américaine Goldman Sachs.
Le départ de José Manuel Barroso témoigne non seulement d’une collusion entre les intérêts des grandes institutions financières et les autorités publiques qui ne surprend plus personne, mais également d’une insoutenable légèreté vis-à-vis de la mission que les Européens lui avaient confiée. En effet, comment croire désormais un instant que M. Barroso a pu investir son rôle de « gardien » de l’Union européenne, quand on le découvre prêt à devenir un employé d’une banque qui a organisé méthodiquement la déstabilisation de la Grèce et de la zone euro ?
Last but nos least, Barroso officiera chez Goldman Sachs… comme « conseiller sur le Brexit ». En somme, alors que l’Union européenne, de son côté, fera tous les efforts possibles pour obtenir les conditions d’un Brexit les moins pénalisantes pour l’Europe, mais les plus strictes pour Londres et sa place financière, lui, l’ancien président de la Commission européenne, usera de ses contacts, de ses documents, bref de tout ce que l’Union européenne lui a apporté, pour satisfaire la City.
L’été à peine passé, le jeudi 22 septembre, le Consortium international des journalistes d’investigation révèle que Neelie Kroes, ancienne vice-présidente de la Commission Barroso, était dirigeante d’une société offshore pendant son mandat de commissaire européenne.
Pour bien prendre la mesure de cette information, il faut rappeler qu’en tant que commissaire à la Concurrence Mme Kroes était supposée, comme le fait aujourd’hui Margrethe Vestager, lutter contre les montages fiscaux illicites. Le dumping fiscal dans l’Union européenne, où des États acceptent des montages impliquant des sociétés offshore, est le premier obstacle à une concurrence équitable, dont Neelie Kroes était censée être la gardienne.
Pourtant, malgré l’urgence de réduire des fractures qui pénalisent la création de richesses et la redistribution dans l’Union européenne, Mme Kroes participait aux pratiques qu’elle aurait dû traquer.
Comme pour ajouter à l’indignité de la situation et au mépris de sa fonction, elle opérait non seulement dans un paradis fiscal, mais encore dans le secteur de l’énergie. La société dont elle était codirigeante avait tenté une opération de rachat de 6 milliards de dollars du géant américain Enron. C’est ici que la double casquette de Mme Kroes jette un soupçon légitime sur ses intentions : c’est elle, en tant que commissaire à la Concurrence, qui a diligenté la libéralisation au forceps – et leur lot de privatisations – des marchés énergétiques en Europe. C’est donc elle qui s’est assurée que chaque pays de l’Union démantelait bien ses opérateurs publics, pendant qu’elle était partie prenante de sa société offshore dans le secteur…
Naturellement, ce paysage d’impunité et d’inefficacité au plus haut niveau ternit les efforts modestes de quelques initiatives, comme cette commission d’enquête, dotée de moyens spéciaux, que nous avons enfin mise en place au Parlement européen pour tirer les conséquences des Panama Papers.
Tout ce qui pourrait être légalement retiré à M. Barroso et à Mme Kroes (retraites et avantages d’ex-commissaires, etc.) doit l’être. Il faut durcir les « codes de conduite » qui sont censés régir l’action des commissaires. Mais c’est aussi aux États membres d’être vigilants dans le choix de celles et ceux qui vont, pendant cinq ans, occuper une place importante dans l’exécutif européen.
Nous ne pourrons peut-être pas tout de suite réformer les hommes et faire en sorte que l’avidité ne soit plus le moteur principal de leurs actions. Mais nous devons tout mettre en œuvre pour faire de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale une priorité de l’Union, et de ses États membres. Nous ne pouvons plus tolérer que des pays membres de l’Union s’enorgueillissent d’être des paradis fiscaux. Nous ne pouvons plus accepter que la concurrence fiscale et sociale soit la règle : sans coopération, sans solidarité, l’Europe est morte.
Emmanuel Maurel Député européen