Retour (rapide) sur le vote relatif à la directive dite "secret des affaires"

Le vote sur la directive « secret des affaires » a suscité un émoi légitime. On le sait, les réseaux sociaux ont tendance à s’enflammer un peu vite. La surenchère y est de mise, parfois jusqu’au grotesque. Que des élus soient immédiatement affublés de noms d’oiseaux et autres injures suite à vote jugé contestable en dit long sur le climat politique actuel.

Qu’ils soient invités à rendre des comptes, en revanche, rien de plus normal. Celles et ceux qui me font l’amitié de suivre mon actualité parlementaire savent que je le fais très régulièrement, via ma lettre d’information (déjà 16 numéros depuis mon élection), mon blog (emmanuelmaurel.eu) et mes réunions de terrain. J’ai donc pris le temps d’écrire ce petit texte, histoire d’expliquer ce qui s’est passé : il aurait fallu être beaucoup plus précis, mais je craignais d’être fastidieux.

1) « secret des affaires » : de quoi parle t-on?

Cette dénomination concerne les informations que les entreprises gardent secrètes pour conserver un avantage sur leurs concurrents (procédé de fabrication, prototype non breveté, liste de clients). Il est certain que l’innovation, les modèles économiques des entreprises, et en particulier des PME dans un contexte de plus en plus compétitif et ouvert, doivent être protégés de pratiques anticoncurentielles ou d’espionnage industriel. Les PME représentent les 2/3 des entreprises victimes d’espionnage industriel, même si la presse n’évoque généralement que les affaires les plus spectaculaires (on se souvient de l’espionnage massif découvert chez Renault en 2008).

2) quel était le principal problème posé par le texte initial?

Il ne prenait en compte que l’intérêt des entreprises. Or, à l’instar du secret bancaire il y a quelques décennies (qui a désormais été levé pour gagner en transparence), le secret des affaires est désormais utilisé par les entreprises (généralement les plus grandes) pour protéger certains comportements frauduleux ou contraires à l’intérêt général. Dans la commission spéciale TAXE du Parlement européen dans laquelle je siège, ou dans le cadre du « reporting pays par pays » ( qui rend possible la traçabilité des profits) que l’Europe essaie de mettre en oeuvre, j’ai pu mesurer, en entendant les multinationales et face à la difficulté de les prendre en tort, que le secret des affaires était aussi leur parade systématique pour cacher des montages à la limite de la légalité, impliquant parfois les Etats eux-mêmes.

3) qu’on fait les eurodeputes socialistes et sociaux démocrates?

Ils ont fait leur travail : pendant de longs mois, sous la houlette de l’italien Sergio Cofferati (ancien grand leader syndical, opposant de Matteo Renzi) et des membres de la commission des affaires juridiques (dans laquelle siège la française Virginie Roziere, extrêmement pointue et solidement ancrée à gauche), ils ont bataillé pour introduire de nombreuses protections. Et ont obtenu, de haute lutte, d’incontestables victoires. Par exemple, et contrairement à ce qui est parfois avancé, les journalistes ne seront pas empêchés d’exercer leur métier.

l’article 1 dispose en effet que « la présente directive n’affecte pas l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias »

Et l’article 5 précise qu’ aucune sanction ne peut être administrée. La directive ne pourra donc jamais servir de base juridique pour attaquer des journalistes ; la liberté des médias est affirmée comme un droit. Toutes les organisations représentant les journalistes ont d’ailleurs salué le résultat de ce travail.

4) quid des « lanceurs d’alerte » dans cette directive?

Scandale HSBC, Swissleaks, Luxleaks, et l’actuel « Panama Papers » : ces révélations sur l’évasion fiscale ont participé à une prise de conscience croissante de l’irresponsabilité sociale des multinationales, et ont aussi très concrètement permis de débloquer des institutions trop lentes à répondre à l’injustice fiscales. Toutes ces grandes réussites d’investigation ont été le fait de lanceurs d’alerte. Une bonne partie d’entre eux, malgré les récompenses officielles qu’ils recoivent, ont été ou sont poursuivis par la justice. Les journalistes qui relaient leurs informations le sont également comme en témoigne le cas de M. Perrin qui a permis à Antoine Deltour, le lanceur d’alerte de Luxleaks, de relayer les preuves d’évitement fiscal. Deltour comme Perrin sont aujourd’hui sous le coup d’une procédure judiciaire au Luxembourg, pendant que les firmes dont ils ont révélé les pratiques n’ont pas été inquiétées le moins du monde.

Au départ, le sujet « lanceur d’alerte » n’était même pas abordé dans la directive. La gauche a permis que le sujet soit mis sur la table. Or sur ce point, les résultats obtenus sont mitigés.
Ils sont mieux protégés qu’aujourd’hui, mais l’accord trouvé reste insuffisant : selon l’article 5, les lanceurs d’alerte seront désormais protégés pour « la révélation d’une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ». C’est certes insuffisant car ces personnes devront prouver qu’elles ont agi « pour protéger l’intérêt général », donc la charge de la preuve leur incombera. Mais à l’heure actuelle, seuls cinq États membres ont une législation spécifique sur la protection des lanceurs d’alerte. C’est donc un premier pas face au Conseil ( qui représente les Etats membres). Mais ce n’est pas satisfaisant.

5) Quel débat au sein du groupe social démocrate avant le vote?

Chacun s’est accordé pour saluer l’énorme travail fait par nos camarades en charge du dossier. Avec d’autres, j’ai cependant soulevé, lors du débat au sein du groupe, trois problèmes.

Premier problème, le contexte : au moment où le scandale « panamapers » scandalise légitimement l’opinion publique mondiale, le vote d’un texte intitulé « trade secrets », même s’il ne concernait que très marginalement les questions fiscales, ne pouvait que susciter l’émoi des nos concitoyens.

Deuxième problème : le vote d’un tel texte allait éclipser deux événements importants qui auraient dû marquer la session de Strasbourg. En effet, sous la pression de la société civile et du Parlement européen, l’Europe s’est mobilisée comme elle ne l’avait jamais fait pour la transparence : en premier lieu nous avons obtenu de la Commission le lancement d’un reporting pays par pays public, accessible à tous, des multinationales; et le Parlement européen s’est enfin mis en branle pour mettre sur pied une véritable commission d’enquête, avec des moyens d’investigation, sur l’évasion et la transparence fiscale, à la suite des Panama Papers. Deux avancées majeures!!

Troisième problème : j’estimais, avec les eurodeputes socialistes français, qu’il fallait que la Commission s’engage dès cette session à lancer immédiatement l’élaboration d’un texte spécifique sur les lanceurs d’alerte, permettant de les protéger même quand ils dévoilent des pratiques légales (je rappelle pour mémoire que la plupart des pratiques révoltantes d’optimisation fiscales agressives sont absolument licites!!)

Pour moi, il allait de soi que si ces trois problèmes n’étaient pas réglés, je ne pouvais pas voter la directive. Ma position, que j’ai exprimée devant le groupe, n’a pas convaincu mes collègues. Pour le dire franchement, nous n’étions qu’une poignée à la défendre. L’immense majorité de mes camarades ont mis en avant les incontestables progrès enregistrés suite au travail parlementaire. Ceux qui connaissent Sergio Cofferati, son intégrité, ses combats, ses convictions, peuvent aisément imaginer que lorsqu’il dit « ce texte va dans le bon sens, nous avons obtenu le maximum, il faut le voter », sa parole porte.

6) Que s’est il passé en séance?

Le jour du vote, des collègues de gauche ont demandé que l’assemblée se prononce sur l’opportunité du REPORT du texte : cela aurait permis de le durcir et de l’améliorer encore. J’étais évidemment favorable au report. Mais nous avons été largement battus au vote. Ensuite, la commissaire présente à été invitée à se prononcer sur la question de l’écriture d’un texte spécifique sur les lanceurs d alerte : sa réponse a été évasive. Voilà pourquoi je n’ai pas voté le texte. Mon premier mouvement était de voter contre : dans le contexte, c’eut été plus lisible. Mais il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que le texte amendé par mes camarades a considérablement évolué, et qu’il ouvre la voie à de nouveaux combats, dans lesquels nous allons nous engager dès aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je me finalement suis abstenu.

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