Emmanuel Maurel,
Député européen,
Membre de la commission spéciale TAXE du Parlement européen,
Rapporteur fictif des sociaux-démocrates pour l’échange automatique des déclarations pays par pays des multinationales.
99% des contribuables français s’acquittent de leurs impôts, au taux légal, en respectant les dispositifs en vigueur. 99% des ménages, presque 99% des entreprises. Mais parmi le 1% restant, qui représente pourtant une part croissante des richesses mondiales, comme l’ont montré ces dernières années Thomas Piketty ou Anthony Atkinson, une ultra-minorité est responsable de la majorité de la délinquance fiscale.
Les « Panama Papers » révélés par le Consortium international de journalistes d’investigations sont davantage qu’une illustration, ils sont une preuve; une preuve d’une ampleur unique, de l’inégalité criante devant l’impôt. Ce gouffre entre les contribuables mine le contrat social, mais aussi les finances publiques. Car la crise des finances publiques, on ne le dit pas assez, est une crise des recettes publiques.
Aussi, montage légal ou pas, l’effet est le même : les États demandent aux acteurs les moins mobiles, les PME, les ménages à bas revenus et revenus moyens, de fournir un effort fiscal plus important, qui finance les recettes perdues des revenus qui se cachent dans un paradis fiscal et dans un montage opaque. Mais le constat est d’autant plus cinglant que les États, principaux perdants, sont aussi responsables. Les États ont trop tardé, trop fermé les yeux; alors qu’en pleine crise on renflouait les banques avec de l’argent public, on promettait aussi la fin des paradis fiscaux qui n’est jamais advenue. Si l’on était aussi menaçant avec les petites îles et les micro-Etats jusqu’en Europe, qui alimentent le dumping fiscal – aussi intraitable qu’on l’a été avec la Grèce, sans doute en serait-on plus proche.
Et ce n’est pas faute de mobilisation de certains acteurs en pointe dans cette lutte, la société civile bien sûr avec les lanceurs d’alerte et les ONG, dont les campagnes sont indispensables; mais aussi le Parlement européen qui s’est prononcé à plusieurs reprises pour des dispositifs contraignants interdisant les montages d’évitement de l’impôt, et en faveur d’une transparence fiscale plus étendue.
1000 milliards d’euros échappent chaque année aux fiscs des États européens ! Cela équivaut à plus de 2,5 fois le budget de la France. Et les milliers d’individus des Panama Papers ne doivent pas nous faire oublier qu’ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les multinationales, qui défilent pour s’en défendre devant la commission spéciale TAXE du Parlement européen, les McDonalds, IKEA, Apple, Amazon, Google, sont les rois de cette jungle de l’optimisation fiscale.
La transparence, si elle n’est pas suffisante en soi, constitue le premier niveau, élémentaire, de toute politique de rétablissement de l’équité fiscale.
La Commission européenne, selon un calendrier qui tombe à pic, proposera la semaine prochaine une nouvelle norme : la déclaration pays par pays, publique, des informations fiscales des multinationales. Il est capital que ces informations permettent d’identifier les « canaux » qui mènent à Panama et aux paradis fiscaux. L’institution de Jean-Claude Juncker souhaitait jusqu’à présent que les multinationales puissent garder secrète la distribution de leurs bénéfices et impôts hors d’Europe. Espérons que le scandale d’aujourd’hui leur inspire une vision plus à la hauteur des enjeux. C’est le devoir de tout élu de porter cette ambition.
Crédits photos : Ouest France – EPA