Au lendemain de la clôture du Salon de l’Agriculture, la détresse des agriculteurs français, souvent teintée de colère, a rarement été aussi flagrante. Leur sentiment d’impuissance est tout à fait compréhensible : face à la crise de surproduction et la baisse des prix qui l’accompagne, beaucoup vont jusqu’à vendre à perte.
Ce sentiment d’impuissance est largement partagé, y compris dans les administrations nationales. Le gouvernement français s’efforce d’agir dans les limites de ses possibilités, mais les blocages viennent également de plus haut. Et, dans tous les discours, c’est surtout Bruxelles qui est légitimement pointée du doigt.
Habitée par le dogme de la concurrence à tous crins et du libre-échange intégral, la Commission européenne – soutenue en cela par bon nombre d’États – veut faire croire que la crise est passagère et qu’elle sera réglée par la bonne volonté du « marché » et l’ouverture à l’international. Libéraliser davantage le marché européen, au plan interne comme au plan externe, voilà l’unique solution proposée par le commissaire Hogan. Pour la Commission, point de salut sans augmentation des exportations, fût-ce au détriment du marché intérieur.
Comment, cependant, ne pas voir un lien entre la dérégulation du marché agricole européen (parfaitement symbolisée par la levée des quotas laitiers décidée par le gouvernement Sarkozy) et la crise de surproduction qui le touche ? Comment ne pas percevoir une contradiction entre les difficultés endurées par les éleveurs de porc et de bœuf européens et l’ouverture de négociations de libre-échange avec le Canada, les États-Unis, l’Australie ou le Mercosur ? Nier cela, c’est réduire la politique agricole commune à une entreprise productiviste que nous devons rejeter.
Car la crise de la surproduction n’est pas uniquement conjoncturelle. Les difficultés du secteur laitier, par exemple, sont internationales. Elle met surtout en exergue une crise plus profonde : celle du productivisme comme choix politique mondial. Un choix politique sponsorisé par l’Union européenne, qui va jusqu’à encourager une course à l’industrialisation de la production agricole dans son marché intérieur, même si celle-ci est gagnée d’avance par les États du Nord de l’Europe.
Les exemples sont légion. Quand la Commission européenne choisit de mettre en place une aide à l’hectare plutôt qu’une aide au prix pour les agriculteurs, elle promeut avant tout les grandes exploitations de l’agro-business. Quand elle négocie un accord de libre-échange avec les États-Unis, elle prend le risque d’exposer le modèle d’élevage familial et respectueux de l’environnement, à la concurrence des feedlots américains.
Il est urgent de rompre avec cette stratégie qui montre aujourd’hui toutes ses limites.
L’agriculture française ne pourra pas être aussi compétitive que le secteur de l’élevage américain ou le secteur laitier néo-zélandais. Elle doit dès lors jouer sur sa compétitivité hors-prix, celle d’une agriculture de qualité et respectueuse de l’environnement.
L’agriculture biologique est, à cet égard, un cas d’école : nombreux sont les producteurs de lait à se féliciter d’avoir choisi ce mode de production, qui leur garantit des débouchés à un prix convenable. Il faut encourager ces démarches.
Au-delà, le futur de l’agriculture française passe par la qualité et la proximité. C’est l’agriculture des labels et des circuits courts. Comme l’enjeu n’est pas seulement économique, mais aussi écologique, social et territorial, cela passe par une intervention résolue des pouvoirs publics.
La France doit continuer à promouvoir ce modèle protecteur et interventionniste face à la surenchère libérale de la Commission européenne. Je suis convaincu que Stéphane Le Foll, qui s’est engagé à mener un bras de fer avec le commissaire Hogan, se bat pour faire bouger les lignes. Mais les multiples méga-accords commerciaux actuellement négociés par la Commission européenne requièrent également la vigilance constante de la France.
La France aura très vite l’opportunité de faire entendre une voix singulière : l’accord commercial entre l’UE et le Canada (CETA) sera soumis à l’approbation des gouvernements nationaux avant l’été.