Lors du bureau national du parti lundi soir, beaucoup de responsables PS se sont exprimés contre le projet d’extension de cette mesure, tout en acceptant l’idée de trouver une alternative.
Volontairement, l’ordre du jour de ce premier bureau national de l’année du Parti socialiste était simple : un rapport d’Henri Weber intitulé sobrement «Après le 13 novembre». Officiellement, la discussion entre responsables socialistes concernant la révision constitutionnelle avait été renvoyée à «après les commémorations» des attentats de début 2015 – soit le 18 janvier – pour rester, avait précisé dans la matinée sur LCI le premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, «dans l’esprit de concorde nationale». Mais il fallait que ça sorte.
A peine Cambadélis avait-il ouvert le BN avec quelques mots sur les vœux de François Hollande et l’évocation de la révision constitutionnelle, que tout le monde s’est engouffré sur le sujet : la proposition de l’exécutif d’inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux définitivement condamnés pour un «crime contre la vie de la nation». «Déjà, alors que ce n’était pas à l’ordre du jour du secrétariat national plus tôt dans la journée [réunion de direction du PS, NDLR], on n’a parlé que de ça», précise une responsable du parti. Alors que d’habitude, les BN sont expédiés en un peu plus d’une heure, celui-ci a duré 3 heures 30.
Ne pas «désavouer» Hollande
Il faut dire qu’ils en avaient des choses à dire ces socialistes : la dernière fois qu’ils ont pris position sur la déchéance de nationalité, c’était en 2010 pour s’y opposer lorsque Nicolas Sarkozy voulait l’étendre à ceux qui tirent contre les policiers. Tous contre. Lundi soir, ils ont été 28 à prendre la parole (sur une quarantaine de présents) dans la salle Marie-Thérèse Eyquem au siège du parti, rue de Solférino à Paris, pour un «débat serein» aux dires des présents.
Il y avait les pour, proches du Premier ministre comme le député de l’Essonne, Carlos Da Silva, ou celui de Paris, Christophe Caresche. Et surtout, selon plusieurs participants, beaucoup de contre. Y compris des proches de François Hollande comme l’ex-ministre du Travail, François Rebsamen ou le porte-parole du PS, Olivier Faure, proche de l’ex-ministre Jean-Marc Ayrault dont les arguments contre la proposition ont été salués. «S’il y a un mot pour décrire ce BN c’est : « embarras », résume Emmanuel Maurel, un des porte-voix de l’aile gauche du parti. A deux exceptions près, tout le monde est contre mais ils nous disent qu’on ne peut pas désavouer Hollande donc qu’il faut l’aider et trouver une solution.»
«On est en terra incognita, alerte une secrétaire nationale. Politiquement, c’est quelque chose d’exécrable : d’une part on ne va pas destituer Hollande mais, d’autre part, il nous faut être cohérent avec nos engagements passés et recoller les morceaux à gauche.» Autant dire tenter l’impossible. D’où un BN qui s’est aussi transformé, dixit des participants, en «concours Lépine» des propositions alternatives à la déchéance pour les binationaux jugés coupables d’actes de terrorisme : peine d’indignité nationale, suppression des droits civiques, déchéance pour tous les Français condamnés pour crimes terroristes… Mais sans décision : Cambadélis a fixé au 18 janvier la prise de position officielle de son parti.
«Déchéance de rationalité»
En attendant, cette idée de «déchéance pour tous», reprise ce matin par Bruno Le Roux sur France Info, est regardée de très près par l’Elysée. «Mais on est aussi beaucoup au PS à être contre et penser que la France doit assumer ses propres enfants, rétorque une élue socialiste. Je suis encore moins d’accord que l’on étende la déchéance de nationalité à tout le monde.» «On est dans la déchéance de rationalité, se désole Maurel. On se met à trianguler en reprenant des propositions d’extrême droite, en perdant la gauche… et même le centre dont plusieurs représentants sont contre cette mesure ! Et pendant ce temps-là, on ne veut pas se cogner au réel et discuter des propositions pour résoudre l’urgence économique et sociale.»
A l’aile gauche, le député Pouria Amirshahi a lui expliqué que le PS était en train de «se perdre dans un délire pénal sans fin». «Soit, pour certains, ils sont convertis à cette bêtise réactionnaire, soit ils n’ont pour obsession que de sauver le soldat Hollande qui s’est mis tout seul (et le pays avec) dans la merde avec sa réforme constitutionnelle», explique-t-il. Au milieu des interventions, le député de Paris Patrick Bloche, dont le soutien à Hollande n’a jamais manqué, a résumé la tristesse de plusieurs hauts responsables PS dans cette affaire : «On commence le quinquennat par le mariage pour tous et on finit par la déchéance pour tous.»
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