Alstom-General Electric : la logique folle de la rentabilité financière

General Electric supprime des emplois chez Alstom non pas pour des problèmes de compétitivité, mais en raison d’une pure logique financière. Par Emmanuel Maurel, Député européen, Membre de la commission affaires économiques et de la commission du commerce international.

On peut légitimement parler de massacre social lorsque l’on considère les 6 500 destructions d’emplois prévues par General Electric chez Alstom en Europe (10 000 d’ici 2017). Un poste sur six va être supprimé, un employé sur six mis sur le carreau.

Il est utile de se souvenir que le rachat de cette branche « énergie » d’Alstom avait été le fruit d’une grande négociation entre l’État français, Alstom et deux candidats, Siemens et General Electric, il y a dix-huit mois seulement. Au printemps 2014, alors que les deux acheteurs potentiels s’affrontaient, Patrick Kron, PDG d’Alstom, vendait sa préférence pour le groupe Américain. Il parlait de « bain de sang social » en cas de rachat par Siemens. Avec 20% des emplois de l’entreprise achetée supprimés en Europe, le bain de sang social n’est pourtant pas très loin.

L’absurdité totale d’un pacte avec le patronat

Cette annonce dramatique prouve l’absurdité totale de la logique de « Pacte » avec le patronat. Que peut-on obtenir d’une firme dont les décisions, pour des implantations industrielles en Europe, seront toutes soumises à la condition d’une rentabilité à deux chiffres. Ce rachat était guidé tout entier par les intérêts des détenteurs de capitaux. Ils ont d’ailleurs remercié Patrick Kron à l’époque en lui offrant un bonus, en actions, de quatre millions d’euros pour ce rachat. Les dirigeants des entreprises sont aujourd’hui eux-mêmes des actionnaires puissants : ils servent donc la rentabilité financière de l’entreprise en priorité. Je rappelle que l’objectif de ce grand nettoyage est de préserver un taux de rentabilité de 16% ! Pourquoi les industriels se contentaient il y a 30 ans de taux de 8 ou 9%, et pourquoi ces taux à deux chiffres étaient l’exception ? Parce que la financiarisation et l’accélération de l’information financière a conforté l’emprise d’un actionnariat complètement déconnecté des enjeux de long-terme, de l’innovation, de la stabilité sociale, etc.

Cette évolution n’était pas inéluctable

Comme bien souvent, la doxa médiatique et économique présentera le fait comme un déficit de compétitivité européen. L’analyse est aussi fausse que paresseuse. Si l’on observe la carte des licenciements, le pays le plus touché est l’Allemagne, avec 1 700 suppressions de postes dans le Bade-Wurtemberg, où l’on trouve parmi les meilleurs indicateurs de compétitivité d’Europe.

Non, en réalité, les actionnaires de General Electric, et donc les dirigeants qui en sont dépendants, ont jugé qu’il n’y avait pas un déficit de compétitivité, mais un déficit de rentabilité financière. C’est le résultat de l’importation d’une logique financière anglo-saxonne (américaine dans le cas présent). On nous avait promis que cette situation serait évitée car il n’y avait presque pas de doublons entre General Electric et la branche d’Alstom rachetée. Or le porte-parole de General Electric déclare aujourd’hui qu’il s’agit de « supprimer les doublons de portefeuille » ! Car sur ces doublons, la rentabilité financière de General Electric était encore plus élevée que celle d’Alstom. En somme, le groupe a seulement conforté sa position sur le marché mondial de l’énergie en achetant la part d’Alstom, mais cela n’obéissait pas à un quelconque projet industriel.

Sans aller chercher plus loin, l’histoire de l’entreprise Alstom elle-même nous enseigne que tout cela n’avait rien d’inéluctable. Alstom n’était plus rentable en 2004, et l’était à nouveau en 2012. Ce que l’on oublie, c’est la nationalisation ! Les libéraux vont pousser des cris d’orfraies, mais je rappelle que, précisément, il fut un temps où Alstom avait été sauvée, et rendue rentable à nouveau, par une nationalisation temporaire en 2004. L’histoire pourrait nous servir de leçon à cet égard.

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