De nombreux pays européens, dont la France, mais aussi la Grèce qui s’y est abîmée, souhaitent une réorientation du fonctionnement et des projets de l’Union européenne, sur les plans économique, social, et démocratique. Dans un sens tout à fait opposé, le Royaume-Uni également. Il a créé l’urgence en annonçant un référendum à la mi-2016. Dès lors, quelles leçons peut-on tirer de la négociation – bien menée – de David Cameron avec ses partenaires européens ?
Le Premier ministre britannique n’a pas fait de « soft power » ou de diplomatie secrète. En témoigne son discours de Chatham House du 10 novembre dernier, adressé à la nation, qui est très clair, détaillé, et décomplexé. Il y assume autant les intérêts du Royaume-Uni que les demandes précises qu’il fait à l’Union européenne. Il y parle sans détour de la souveraineté et de la subsidiarité. Enfin, il livre sans fard le visage de l’UE qu’il souhaite, celle d’une « union souple », fondée essentiellement sur la discipline budgétaire, la libéralisation des marchés de capitaux, et une politique massive d’accords de libre-échange et de traités sur les services.
À partir de cela, comment est-il parvenu à ce que certaines demandes, il y a quelques années inaudibles, soient discutées sérieusement par ses partenaires européens ?
Il l’aurait presque fait oublier, tant il le présente comme un événement extérieur à sa volonté, et tant il répète qu’il est favorable au maintien du Royaume-Uni dans l’UE, mais c’est par un référendum, qui devient un ultimatum. Le point de levier de sa négociation n’est ni plus ni moins qu’un ultimatum : « si vous n’accédez pas à la plupart de mes demandes, le référendum sera négatif », voilà en substance le message.
Tout, désormais, concourt avec plus ou moins de lenteur et de blocages à l’intérêt britannique, puisque le postulat de base des institutions européennes et des gouvernements partenaires est d’éviter le Brexit à tout prix.
En effet, il constituerait pour l’UE un précédent très difficile à surmonter. Comment poursuivre l’intégration, en particulier des nouveaux membres qui ne sont pas encore dans la zone euro, si le premier du club de ceux qui sont hors zone euro sort de l’Union elle-même ?
Mais à cet égard, les négociations sur le Brexit constituent peut-être une occasion manquée. En effet, au lieu d’une discussion unilatérale, le débat aurait pu être européen, multilatéral. Pour aboutir à un résultat qui ne se résume pas à une concession unilatérale à un État, chaque pays membre avait intérêt à mettre lui aussi sur la table des négociations ses intérêts et ses demandes sur le sujet. Car le Royaume-Uni est en train de faire seul la démonstration de l’utilité du rapport de force dans la politique européenne.
Et l’avenir que souhaite Londres pour l’UE, avec un abaissement drastique des cotisations sociales, une dérégulation des marchés financiers, n’est assurément pas une feuille de route profitable au continent. Aussi ma conviction demeure : la France, et tout autre pays qui y a intérêt, doit, et peut encore, établir un rapport de force semblable pour porter enfin au débat les carences à combler de l’Union européenne : par un renforcement social puissant, par une fiscalité des entreprises unifiée et transparente, enfin par une responsabilité démocratique donnée à tous les organes d’expertise qui en sont exemptés jusqu’à présent.