Après le 13 novembre, faire face.

22699968969_83d8ec5fdc_oLe 13 novembre, la France était terriblement éprouvée. Longtemps encore nous subirons l’onde de choc de ce jour funeste qui a vu 130 innocents mourir sous les balles des terroristes, et qui fait écho, dans l’esprit de nos concitoyens, aux attentats de janvier dernier.

Sur le plan intérieur comme extérieur, la République doit se protéger. Sans se laisser dominer par l’émotion qui, bien que légitime, est rarement bonne conseillère. Sans recourir à une rhétorique martiale aussi spectaculaire que vaine.

Agir juste et rapidement sans tomber dans la précipitation, la communication brouillonne ou la surenchère : pour une démocratie en deuil, c’est la principale difficulté. Il faut être capable de concilier fermeté et sang-froid, d’améliorer la sécurité de nos concitoyens tout en protégeant les libertés fondamentales et nos principes intangibles.

On n’éradique pas le terrorisme en quelques semaines. Il s’agit là, chacun le sait, d’un combat de longue haleine et, qui plus est, d’un combat mondial. Car si notre pays a payé un très lourd tribut en janvier et en novembre, nous ne pouvons oublier que, chaque jour, le terrorisme frappe un pays, une population – Tunisie, Liban, Mali, Russie, Kenya, Nigéria, Cameroun ont été également victimes de redoutables attaques ces dernières semaines.

Dès lors, rien de plus absurde que de voir dans les exactions des djihadistes l’expression d’un supposé « choc de civilisations ». Les terroristes frappent indistinctement toutes les sociétés, et l’on serait bien en peine de définir la « civilisation » au nom de laquelle ils agiraient. Répétons-le : face à ces injures à des valeurs universelles mûries par l’histoire, nous devons agir au nom de ce même universel.

L’emprise territoriale de Daech, sa force de frappe financière et ses diverses méthodes de recrutement rendront sa destruction longue et fastidieuse : il est indispensable de le combattre sur tous les fronts de manière simultanée.

Le recours à l’action militaire peut se justifier : Daech contrôle un territoire identifié, englobant une partie de la Syrie et de l’Irak. Il faut bien entendu que la France continue de frapper militairement ses bases et ses camps d’entraînement à Rakka et à Mossoul. Pour être efficaces, ces frappes doivent cependant être extrêmement ciblées et épargner les civils piégés dans les villes, d’autant plus que Daech prospère, au Moyen-Orient et même en Europe, sur cette spirale vengeresse.

Mais, si elle s’avère parfois nécessaire, la réponse militaire (surtout lorsqu’il s’agit de frappes aériennes) est rarement la plus efficace. Elle peut même, souvent, se révéler contre-productive. Nous avons tous en tête les dramatiques erreurs précédentes (l’intervention américaine en Irak en est une) qui ont conduit au chaos et au ressentiment d’une partie de la population, et ont nourri le fanatisme et la violence.

Dès lors, il fait redoubler d’efforts en matière diplomatique. Le président de la République a raison de tenter de rassembler la coalition la plus large possible, soutenue par l’ONU. Inclure la Russie et l’Iran est une initiative de bon sens. Cela va de soi, toute naïveté est à proscrire : chacun a en tête la position ambigüe de la Turquie, chacun connaît les liaisons coupables qu’entretiennent, directement ou indirectement, certains pays arabes avec le fondamentalisme islamiste.

La France serait bien inspirée de remettre en cause des choix diplomatiques hésitants, trop souvent guidés par de seules considérations économiques. Les liaisons dangereuses avec les pétromonarchies du Golfe en sont une navrante illustration. Car c’est aussi en combattant Daech au ventre, c’est-à-dire en le privant de ses financements étrangers et de toute possibilité de vendre pétrole et œuvres d’art, que l’on atténuera son potentiel destructeur.

L’Union Européenne, elle, doit prendre la mesure du phénomène et imaginer une réplique à la hauteur de l’enjeu.

Nos partenaires doivent ainsi comprendre que la France ne peut pas être la seule à assurer la sécurité de toute l’Union européenne dans la région et à être prise pour cible à ce titre. Dans cette optique, l’activation de la clause de solidarité européenne ainsi que les déclarations de David Cameron à Paris sont encourageantes.

Les 28 États membres doivent honorer enfin leurs engagements en matière d’aide au développement, car la stagnation économique engendre l’instabilité politique. Ils ne doivent pas non plus transiger sur l’accueil de réfugiés, qui, dans leur immense majorité, fuient l’ennemi que l’on combat.

Gardons-nous, enfin, quand nous en appelons à une « réponse européenne », de toute affirmation péremptoire : non, l’instauration d’un PNR n’est en rien la panacée en matière de lutte contre le terrorisme. Une meilleure coordination des services de renseignement et l’amélioration de la coopération judiciaire participent davantage de la solution. Quant au contrôle extérieur des frontières de l’Europe, il passe par un déploiement considérable de moyens humains et financiers qui sont pour l’instant impossibles à mobiliser compte tenu du carcan absurde du pacte de stabilité et du budget ridicule dont dispose l’Union.

Reste que tous nos efforts diplomatico-militaires sont condamnés à l’échec si nous ne faisons pas preuve de volontarisme, de lucidité, de constance, pour attaquer le terrorisme à la racine.

C’est peut-être là la tâche la plus difficile : il faut résister à la facilité des analyses univoques (l’extrême droite, bien sûr, mais aussi une partie de la droite, n’ont pas leur pareil pour offrir grilles de lecture simplistes et préconisations aussi virulentes qu’inefficaces) et appréhender le phénomène terroriste dans toute sa complexité. Le profil et l’itinéraire des djihadistes prouvent que les explications exclusivement sociales, religieuses, psychologiques, idéologiques ne rendent pas compte de la réalité.

Depuis le 13 novembre, les tribunes et autres analyses se succèdent, se contredisent plus souvent qu’elles ne se complètent, témoignant de la sidération qui nous frappe devant une telle pulsion de destruction, illustrant la difficulté à comprendre que de tels actes, commis par des barbares qui sont parfois français ou européens, puissent avoir lieu sur notre sol. Cette floraison de textes aussi partiels que partiaux est normale et saine dans une démocratie. L’indispensable prise de recul n’empêche pas l’action, elle l’accompagne et, parfois, l’inspire.

Pour le gouvernement, il s’agissait évidemment de prendre les mesures qui s’imposent pour rassurer nos compatriotes et assurer leur sécurité sans rogner sur leurs libertés fondamentales. La prolongation de l’état d’urgence a choqué nombre de camarades, dont les arguments ne manquent pas de pertinence. En ce qui me concerne, je suis prêt à me résoudre à certaines dispositions exceptionnelles pourvu qu’elles soient encadrées et temporaires. C’est le cas. Je ne comprends pas, en revanche, qu’on envisage aujourd’hui des modifications constitutionnelles dont j’ai du mal à voir en quoi elles seraient susceptibles de répondre au défi auquel la France est confrontée.
Il me paraît plus utile de déployer d’importants moyens pour améliorer l’efficacité des services de renseignement – qui ont beaucoup perdu de temps depuis les attentat commis par Mohamed Merah – et pour renforcer nos services publics, dont on prend conscience, à chaque situation de crise grave, à quel point ils sont essentiels à la cohésion de la nation. Dans ces circonstances, l’abandon de la logique comptable va de soi. Car partout où la République se retire, c’est potentiellement l’obscurantisme qui progresse et la violence qui prospère.

Pour aller plus loin :

L’explication de vote de Marie-Noëlle Lienemann sur l’état d’urgence :

Parmi les très nombreuses analyses parues, forcément partielles ou partiales, je me permets de vous conseiller les trois suivantes, afin d’alimenter votre réflexion :

Gilles Kepel : « Le 13 novembre ? Le résultat d’une faillite des élites politiques françaises »

Olivier Roy : « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste »

Marcel Gauchet : « Le fondamentalisme islamique est le signe paradoxal de la sortie du religieux »

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