Tribune d’Edouard Martin et Emmanuel Maurel – Les Echos – vendredi 30 octobre 2015
L’éventuelle attribution, par l’Union européenne, du statut d’économie de marché (SEM) à la Chine ébranle l’univers industriel européen : si la Commission européenne s’engageait sur une telle voie, plus de 3 millions d’emplois pourraient se retrouver en danger immédiat sur notre continent.
Contrairement à ce qui est parfois écrit, le débat n’est ni complexe ni technique. Lors de son accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine a subi une dérogation de 15 ans qui a permis à ses partenaires de ne pas la considérer immédiatement comme une « économie de marché ». L’UE a donc été autorisée à mobiliser des instruments de défense commerciale à l’encontre de la Chine dont l’objet est de déjouer la concurrence déloyale chinoise, construite à base d’exportations « dumpées » (comme l’acier inoxydable). Pour Pékin, cela ne fait aucun doute : l’expiration de cette période de 15 ans signifie que la Chine deviendra automatiquement une économie de marché à la fin de l’année 2016. En vérité, le débat juridique est beaucoup plus incertain, et rien ne dit qu’une telle évolution soit automatique. La question devra vraisemblablement être tranchée à l’OMC.
Cependant, par-delà ces considérations juridiques, se greffe un débat politique. La Commission européenne étudierait la possibilité d’accorder unilatéralement à Pékin le statut d’économie de marché, principalement pour débloquer les négociations en cours sur l’Accord d’investissement UE-Chine. Une telle décision, motivée par la pression des lobbies, de certains Etats membres et de la Chine elle-même, serait une grave erreur historique.
Une erreur historique parce que la Chine n’a tout simplement rien d’une économie de marché. Sur les cinq critères auxquels la Commission européenne a habituellement recours pour évaluer le caractère de marché d’une économie, la Chine n’en remplit qu’un. Le gouvernement chinois continue de sponsoriser de larges programmes de subventions, et de contrôler à la fois les importations et les exportations chinoises. De nombreuses entreprises européennes qui s’installent en Chine doivent le faire en joint-venture avec des entreprises chinoises à capital d’Etat.
Certaines industries, notamment dans le domaine de la sidérurgie, pratiquent un dumping colossal, qui, en permettant l’inondation du marché européen par des produits vendus à des prix injustement bas, a mené directement à des fermetures d’entreprises européennes. Face à cela, il est impératif que l’Union européenne se réserve le droit de se défendre. Les instruments de défense commerciale doivent permettre de sauvegarder des centaines de milliers d’emplois européens – comme ce fut le cas, par exemple, dans le secteur de la céramique à partir de 2012.
A l’inverse, en nous privant de toute possibilité de rétablir un certain équilibre entre les modes de production européen et chinois, l’attribution du statut d’économie de marché à la Chine impacterait très directement nos industries. La seule étude réalisée sur le sujet évalue entre 1,7 et 3,5 millions la destruction d’emplois potentielle, dont 75 % seraient des emplois industriels. En nombre d’emplois, la France serait le quatrième pays européen le plus touché – 180 000 à 360 000 emplois seraient en danger. En bref, céder aux demandes de la Chine reviendrait à abandonner toute ambition industrielle à l’échelle européenne comme française. Or, nos partenaires commerciaux ne font pas preuve de la même naïveté : les Etats-Unis, par exemple, n’ont aucune intention de s’engager sur une voie aussi dangereuse.
En l’absence de consensus juridique et politique, nous demandons à la Commission européenne de ne pas reconnaître de manière unilatérale la Chine comme une économie de marché.
L’Union européenne ne peut pas continuer à jouer le meilleur élève de l’OMC et à s’ouvrir indéfiniment, sans exiger de contreparties de la part de ses partenaires qui, eux, n’hésitent pas à s’affranchir des règles.
Edouard Martin – Emmanuel Maurel
Edouard Martin et Emmanuel Maurel sont députés européens, membres du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates.