Naufrages à répétition en Méditerranée, construction de barbelés et drames morbides en plein cœur de l’Europe… Ces derniers mois, les dirigeants européens n’ont eu de cesse d’afficher leur impuissance à faire face aux flux migratoires dirigés vers notre continent. En mai dernier, leur incapacité à s’accorder sur un mécanisme contraignant de répartition de 40 000 demandeurs d’asile a frôlé l’absurde: comment un continent de 500 millions d’habitants, premier ensemble économique mondial, pouvait-il échouer de la sorte, laissant des pays comme la Grèce ou l’Italie prendre en charge l’ensemble de ces populations ?
Pendant de longs mois, au fur et à mesure que la situation s’est détériorée, l’impératif de solidarité s’est fait de plus en plus urgent, jusqu’à la prise de conscience, très récente, de la plupart des gouvernements européens. S’il semble que l’Europe s’engage enfin sur la voie d’une réponse solidaire, il faut désormais tout faire pour qu’il ne s’agisse pas en réalité, une fois l’émotion retombée, d’une énième occasion manquée. Parce que pour être efficace, la politique migratoire européenne doit surtout s’inscrire dans la durée.
Il fallait une réponse solidaire car il est anormal que dans le contexte de crise mondiale de l’asile, l’Europe, souvent au mépris des conventions internationales, soit le continent accueillant le plus petit nombre de demandeurs de réfugiés. Les pays en développement, frontaliers des zones de conflit, comme la Jordanie ou le Liban s’efforcent de recevoir dignement des centaines de milliers de personnes, le tout sans les moyens financiers et logistiques dont dispose l’Europe.
Dans ce contexte, il était nécessaire de faire preuve d’honnêteté. Force est de constater que le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a montré une détermination politique bienvenue en proposant des mesures de bon sens, parmi lesquelles la relocalisation obligatoire et urgente de 160 000 demandeurs d’asile à travers l’Europe, dont 24 000 en France. Gageons désormais que l’introduction de ce mécanisme de répartition, s’il est accepté par tous les chefs de gouvernement, signe à la fois la naissance d’une véritable politique européenne d’asile commune et l’acte de décès du funeste règlement de Dublin, qui soumet États situés aux frontières externes de l’Europe à une contribution disproportionnée.
Il faut maintenant une réponse durable car il serait illusoire de penser que l’introduction d’un système d’asile européen résoudra tous les problèmes. C’est pourquoi j’accueille avec une certaine circonspection le projet de mise en place de centres de tri (« hotspots ») dans les pays d’arrivée des demandeurs d’asile, destinés à établir une distinction entre potentiels réfugiés politiques et migrants économiques. Le renvoi systématique de ces derniers ne constitue pas une solution viable sur le long terme. C’est la raison pour laquelle je suis favorable, comme l’a proposé à juste titre M. Juncker, à un élargissement des voies d’accès légales à l’Europe qui désinciterait les candidats à l’immigration à emprunter des routes, terrestres et maritimes, souvent mortelles (en 2015, près d’un migrant sur vingt a trouvé la mort en traversant la Méditerranée). En parallèle, ayons le courage d’affirmer que le solde de l’immigration est positif pour nos économies et nos sociétés !
Enfin, il s’agit de tirer les leçons du passé et de préparer l’avenir de manière globale: nous ne pouvons pas vivre dans un monde de routes migratoires en perpétuelle activité, dans une géographie d’exode. Notre priorité doit être de défendre une politique étrangère plus robuste, qui participe à la recherche systématique de la paix et non à la déstructuration des États. Nous devons assumer notre rôle en matière d’aide au développement des pays de départ, et participer activement à la lutte contre le changement climatique, qui risque d’engendrer des déplacements de population d’une ampleur inégalée.
La construction européenne n’a de sens que si elle permet à l’Union de répondre à ce type de défis, globaux, qu’aucun de ses États membres ne pourrait régler de manière isolée. Plus qu’une question humanitaire, l’actuelle crise des réfugiés interroge notre conception de l’Europe comme espace de solidarité. Elle est une occasion unique de prouver que l’Union, quand elle est fidèle à ses valeurs, fait vraiment la force.
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