« Il faut avoir le courage de procéder à de vraies ruptures »

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Député européen et figure de l’aile gauche du PS, Emmanuel Maurel, tire les leçons de la crise grecque, critiquant au passage la discrétion de la France et de l’Italie.

Que vous inspire l’expérience du gouvernement Tsipras ?
Comme beaucoup de militants de gauche, j’ai vécu cette période avec espoir, avec angoisse parfois. Et le résultat a produit chez moi comme chez d’autres un effet de sidération. Cela fait longtemps qu’un événement politique ne m’avait pas touché autant, personnellement. Ça interroge notre rapport à la politique, notre façon de penser, notre action d’élu et de parlementaire. C’est pour ça que je dis que c’est quelque chose que j’ai vécu de façon intime. Pour moi comme pour beaucoup de gens la victoire de Tsipras avait suscité un vrai espoir, l’espoir de voir une gauche qui ne tournait pas dos à ses valeurs, qui était attachée à une politique de redistribution des richesses, qui voulait se battre pour la réorientation de la politique européenne. C’est un personnage que je trouve très charismatique pour l’avoir vu au parlement européen, et en même temps une détermination très tranquille que je trouvais admirable.

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L’issue de la crise grecque ne vous conduit-elle pas à changer votre rapport à l’Europe ?
A l’issue de la crise grecque, qui n’est que provisoire – la solution n’en est pas une –, la question qui se pose est la suivante : est-ce qu’on peut concevoir aujourd’hui ne politique alternative dans le cadre européen tel qu’il est ? À la fois une alternative au niveau national, alors qu’on est pris dans un réseau de contraintes du fait de notre appartenance à l’Union. Et à la fois une alternative au niveau européen, car même si on est plusieurs pays à vouloir infléchir la construction européenne, est-ce que le cadre actuel le permet ? Ces deux questions ne sont pas tranchées aujourd’hui. Moi je ne répondrai pas de façon péremptoire qu’on ne peut rien faire dans cette Europe-là ou que tout est encore possible. Les mois qui viennent vont nous le dire. Mais ce qui est sûr c’est que la crise du projet européen, avec l’affaire grecque et celle des migrants qui est prégnante, est assez spectaculaire. En tant que socialistes, on ne peut plus en rester à des réponses comme « l’Europe c’est notre avenir », « l’Europe c’est la paix », « c’est le niveau pertinent pour répondre », « il faut accepter la méthode des petits pas, accepter naturellement le compromis avec d’autres qui ne pensent pas comme nous »… C’est cette façon de penser qui est remise en cause aujourd’hui.

Il aurait fallu depuis 2012 assurer une confrontation avec l’Allemagne de Mme Merkel

Est-ce que la stratégie de la gauche radicale, qui était aussi celle de Syriza, et qui consistait à désobéir aux traités, n’est pas morte elle aussi ?
La question c’est celle de la masse critique. On peut ne pas respecter les traités ou ne pas rentrer totalement dans les clous, si on est suffisamment nombreux pour poser un rapport de forces. La difficulté de Syriza et de la Grèce c’est qu’ils étaient seuls, et que les alliés potentiels qu’ils auraient pu avoir au début l’ont joué mezzo voce parce qu’ils étaient eux-mêmes obsédés par leurs confrontation avec une partie de la droite conservatrice qui ne voulait faire aucun compromis.
Je pense qu’il est toujours possible de changer les choses, mais il faut avoir pour ça le rapport de forces. Et là clairement Syriza ne l’a pas eu. L’Italie et la France, les Grecs le disent eux-mêmes, sont intervenues trop tard, et peut-être trop discrètement. Il y a notamment dans notre gouvernement, l’idée que l’entente franco-allemande est décisive pour l’Union, qu’il ne faut rien faire pour l’abîmer. La réalité, c’est qu’il aurait fallu depuis 2012 assurer une confrontation avec l’Allemagne de Mme Merkel qu’on n’a pas faite. C’est toute une logique qu’il faut remettre en cause. Au Parlement européen faute de majorité claire on en est à rechercher des compromis avec les conservateurs, compromis qui sont plutôt à l’avantage de la droite.

Cela ne remet-il pas en cause l’Eurogroupe qui fonctionne comme une instance absolument non-démocratique ?
La question démocratique est présente partout, et pas seulement sur l’Eurogroupe. Est-ce que l’Europe est autre chose qu’une cour de discipline budgétaire fondée sur le principe de sanctions et de punitions en cas de désobéissance ? Comment expliquer qu’on en soit arrivé à un point tel que systématiquement quand l’avis du peuple est demandé on a des institutions européennes qui se crispent, ou en viennent même à des menaces ? On a parfois l’impression que ceux qui prophétisaient une espèce de post-démocratie, c’est-à-dire en gros une entité supra-nationale dirigée par une oligarchie et une technocratie qui ferait tout sans demander l’avis des citoyens concernés, ne serait pas en train de se réaliser.

Que faire face à cette situation ?
On doit réinterroger complètement notre rapport à la construction européenne. On ne peut pas s’en sortir en disant l’Europe c’est bien, il faut plus d’intégration, et puis un jour peut-être on sera majoritaire et ça changera. On voit bien que c’est plus compliqué que cela, que ça ne marche pas comme ça. Plutôt que de dire il ne faut pas trop construire de rapports de forces parce que sinon c’est la crise, reconnaître que la crise est là avec sa brutalité et son évidence. Il faut assumer la crise et certains blocages. Moi par exemple je suis pour qu’on dise : aucune intégration supplémentaire tant sur les questions d’harmonisation fiscale et sociale on n’a pas avancé. Il faut avoir à un moment le courage de procéder à de vraies ruptures. Il faut arrêter de craindre de casser un bel outil qui est en réalité délabré et dont les peuples se détournent aujourd’hui. On aurait du le faire dès 2012, comme c’était prévu avec le TSCG. Cela aurait au moins eu le mérite de construire un rapport de forces.

Or il faut avoir la lucidité de constater qu’au-delà des sphères militantes l’opinion n’a pas été très solidaire. Beaucoup de gens, y compris chez nous, pas seulement dans les pays de l’Est et les pays du Nord, étaient acquis à la thèse que les Grecs nous coûtent chers, ils ont vécu de manière déraisonnables, c’est normal qu’ils paient. Contre ça, il faut faire un vrai travail culturel de déconstruction. Sur les dettes, il est urgent que l’on organise une conférence qui montre pourquoi on en est arrivé là et pourquoi la réponse ne peut pas être de dire : il faut réduire la dette et les déficits et ensuite la croissance viendra.

Mobiliser les opinions en faveur d’une alternative en Europe

Que voulez-vous dire ?
La vérité c’est que la crise grecque démontre quelque chose que l’on savait déjà mais de manière spectaculaire : on a socialisé les pertes au moment de la crise de 2010 et là, à l’occasion du « règlement » de l’affaire grecque, on va privatiser les profits. C’est un des points qui m’a totalement scandalisé dans le programme imposé aux Grecs. On voit bien que l’Europe est là pour servir les intérêts des détenteurs du capital. Ceux qui vont racheter les entreprises privatisées sont ceux qui avaient intérêt aux politiques d’austérité pour que leur capital ne soit pas entamé. C’est la énième confirmation de la logique folle du capitalisme financier, une logique de prédation qui aboutit à l’appauvrissement de populations tout entières.

Que pensez-vous de l’initiative du Parti de gauche d’organiser une conférence internationaliste, qui réunirait tous les opposants aux politiques d’austérité, intéressés à réfléchir sur un Plan B ?
Tout ce qui peut contribuer à mobiliser les opinions en faveur d’une alternative en Europe est bon à prendre. Après ce doit se faire sans exclusive. Par exemple, je trouve tragique qu’on nous demande de choisir entre Tsipras et Varoufakis qui ont la même lecture des raisons de la crise. Ils ont une réponse différente parce qu’ils ne sont pas aux mêmes postes et n’exercent pas les mêmes responsabilités. Ce serait absurde d’opposer les uns aux autres. J’ai envie de faire en sorte que tous ceux qui se battent pour autre Europe puissent se retrouver.

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