Ma réaction au projet de rapport de la Commission spéciale TAXE

« Le projet de rapport est encourageant, j’y apporte maintenant des recommandations plus explicites envers les acteurs de l’évitement fiscal »

La commission TAXE dispose d’un bon texte de départ

Suite à l’affaire Luxleaks, nous étions nombreux à soutenir l’ouverture d’une commission d’enquête. La droite européenne s’y étant opposée, le Parlement européen a néanmoins mis sur pied la commission spéciale TAXE, dans laquelle je siège. Chargée de dresser un bilan des pratiques d’optimisation fiscale agressive, et de formuler des recommandations pour y mettre un terme, elle vient de délivrer son projet de rapport.

Fruit d’un compromis entre un rapporteur libéral et une rapporteure socialiste, le texte est solide. Moins d’un an après les révélations d’Antoine Deltour sur les montages des multinationales avec le Luxembourg, il livre un bilan synthétique et sans fard des diverses pratiques utilisées, des dispositifs fiscaux « à risque », et des acteurs qui participent à ces montages.

La réforme ACCIS donne corps au projet européen

En outre, je partage son intuition générale : l’Union européenne doit pouvoir progresser vers une fiscalité plus harmonisée. Comment comprendre sinon, que les capitaux puissent circuler librement dans l’Union, mais que des Etats tentent de capter les ressources fiscales de leurs partenaires voisins ? Chacun doit avoir le droit de fixer librement son taux d’imposition, mais les exceptions à la règle, ou ses interprétations parfois laxistes (à travers les fameux « rescrits » fiscaux) doivent être encadrées et harmonisées.

C’est exactement la voie choisie par le rapport, qui poursuit une ambition à la hauteur de l’enjeu : créer une assiette d’imposition des entreprises (la base d’imposition, c’est-à-dire ce qui est taxé) au niveau de l’Union européenne. Cette assiette, serait commune pour toutes les entreprises de l’Union, et, c’est un point capital, « consolidée ». On appliquerait donc enfin l’impôt à la société en général, et non à chacune de ses filiales. Car l’impôt actuel sur les sociétés permet aux entreprises de manipuler les prix qu’elles s’appliquent en interne (prix de transfert), de filiale à filiale, pour que leurs transactions échappent à l’impôt. Ce projet, nommé ACCIS (Assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés), constitue à la fois une formidable opportunité de simplification, et de transparence. Elle réduirait considérablement les possibilités de concurrence fiscale par le bas entre les Etats membres.

En outre, et ce n’est pas une moindre conquête, les socialistes ont obtenu qu’un taux minimal d’imposition soit effectivement payé par les grandes entreprises. Les taux de 1, 2 ou 3% d’impôt que paient certaines multinationales qui abusent des systèmes fiscaux avec l’aide de certains Etats, doivent disparaître. Ils forment une insulte à tous les contribuables, individus, petites entreprises, qui s’acquittent fidèlement du taux réglementaire.

Contre la délinquance fiscale : prévention et répression

À de trop nombreuses reprises dans cette commission, nous avons entendu les entreprises ou les grands cabinets de conseil répéter que leurs pratiques étaient « légales ». Elles sont en réalité à la frontière de la légalité, puisqu’elles recourent à des accords qui fixent une certaine « interprétation » de la loi. Je crois que sur ce point le projet de rapport de la commission peut se faire plus explicite. Il ne cible pas suffisamment les acteurs de l’évitement fiscal. Face aux comportements des grands cabinets de conseil, qui forment un cartel de 4 giga-entreprises se partageant le marché (les Big Four), et face à des multinationales prêtes à dépenser des sommes considérables pour échapper à l’impôt, l’Europe doit se doter d’instruments concrets et efficaces de prévention et de répression.

En matière de prévention, la France, à qui il reste toutefois du chemin à parcourir, possède un outil très pragmatique : « l’abus de droit » en matière fiscale. Selon la loi française, si un montage a été conçu « dans le but exclusif d’échapper à l’impôt », alors il est considéré comme illégal. Je suis favorable à ce que l’on introduise le même dispositif dans la loi européenne. Les multinationales qui payent 2% au Luxembourg parce qu’elles ont créé un système dédié à cette optimisation fiscale ne pourront plus arguer de sa légalité.

Mais les multinationales s’appuient toujours sur l’expertise des Big Four pour optimiser leur fiscalité. Pourquoi ? Parce que ces 4 grands cabinets de conseil … sont aussi les seuls à conseiller les administrations publiques. Devant la commission TAXE, nous avons vu qu’un même cabinet, Ernst & Young, avait proposé au Gouvernement britannique un dispositif complexe de fiscalité sur les dépenses de recherche … puis avait fait la promotion des failles de ce même dispositif auprès de ses grands clients privés. Ces entreprises de conseil sont en position ultra-dominante, et en situation évidente de conflit d’intérêts. Pour casser cette collusion d’intérêts, j’ai proposé que le groupe socialiste soutienne une stricte interdiction, pour les entreprises qui conseillent des entreprises en optimisation fiscale, d’avoir aussi des activités de conseil aux administrations fiscales. L’incompatibilité ne doit pas seulement concerner les personnes, les employés d’un cabinet de conseil, mais l’entreprise entière.

Enfin, il y a un domaine sur lequel les sanctions doivent être automatiques : c’est le recours aux paradis fiscaux. La Commission européenne vient d’établir une liste de « territoires non coopératifs » (entendre : paradis fiscaux), qu’il est nécessaire d’activer. Chaque flux sortant d’un Etat membre vers un paradis fiscal devrait faire l’objet d’une retenue à la source, et la société qui l’émet devrait perdre le bénéfice de tout dispositif fiscal ou juridique qui facilite la planification fiscale.

Ce sont ces principes qui me guideront dans le travail de discussion et d’amendement qui s’ouvre au sein de la commission TAXE. Je veillerai aussi à proposer des initiatives forte pour que les pratiques fiscales des Etats européens soient corrigées, lorsqu’elles portent préjudice aux pays les moins avancés, dont le développement pâtit du manque de recettes budgétaires.

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