« Les institutions de la Troïka doivent assumer leurs responsabilités »
Ces dernières semaines, le cas de la Grèce, cruellement dépendante des décisions de la Banque Centrale Européenne sur les désormais fameuses liquidités d’urgence ou ELA (Emergency Liquidity Assistance), illustre sans équivoque le caractère politique de l’action de la BCE. L’institution de Francfort occupe une double position : celle de créancier, via les ELA et les collatéraux qu’elle décide d’accepter (titres de garantie qu’elle requiert contre la fourniture de liquidités) ; et celle de régulateur, via sa participation à la Troïka – pudiquement renommée « institutions ».
Le rapport d’enquête du Parlement européen en 2014 sur le rôle et les activités de la Troïka, porté par mon collègue socialiste Liêm Hoang-Ngoc, avait déjà démontré que la BCE avait pesé de tout son poids pour faire accepter les programmes d’austérité, notamment en Irlande.
La « neutralité » de la BCE est mise à mal par cette situation qui est, ni plus ni moins, celle d’un conflit d’intérêt.
Et l’indépendance dont jouit la BCE grâce à ses statuts la rend imperméable à la démocratie. De nombreuses fois depuis le début de la crise, tout particulièrement dans le cadre de sa participation à la Troïka, la BCE a conduit des actions en dehors du mandat qui lui est confié. Or aucun réel contrôle démocratique n’est venu examiner ces actions. Le Parlement européen est limité, dans ses relations à l’institution de Mario Draghi, à un « dialogue monétaire » qui prend la forme d’un simple échange de vues…
Il est à la fois anormal et dangereux que ceux qui prennent des décisions si lourdes de conséquences pour des pays parfois exsangues, et pour la zone euro dans son ensemble, soient exonérés de toute responsabilité devant les citoyens européens. La plus réduite et la plus légitime des responsabilités serait de rendre des comptes.
Or le rapport annuel de la BCE, qui nous a été présenté en commission des Affaires économiques et monétaires, ne fait pas la moindre allusion à sa participation à la Troïka et aux « programmes d’assistance » (en Irlande, en Espagne, au Portugal et en Grèce). Plus troublant encore, son vice-président estime que l’institution, qui travaille en liaison avec Commission européenne dans ces programmes, n’est pas juridiquement responsable. Selon lui, c’est la Commission et elle seule qui devrait être tenue pour responsable de l’ensemble des programmes.
Cette réponse est en totale contradiction avec les statuts de la Banque centrale européenne, et constitue la meilleure preuve que ceux-ci sont devenus obsolètes dans la situation actuelle. Elle fait aussi porter la responsabilité sur une institution – la Commission – qui est elle-même exempt de tout contrôle démocratique et de toute responsabilité devant les citoyens ou leurs représentants.
Je ne me contente pas d’une telle réponse qui vise, une fois de plus, à noyer les exigences légitimes de comptes, sans lesquels aucun citoyen ne peut consentir librement aux politiques menées. Et c’est la raison pour laquelle j’ai posé à la Commission une question écrite que vous pouvez retrouver ici :
« Le 20 avril 2015, le vice-président de la BCE, M. Constâncio, présentait à la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen le rapport annuel pour 2014 de son institution.
Commme l’a souligné une de mes collègues, il n’est ni légitime ni acceptable que ce rapport soit dépourvu de toute mention concernant la participation de la BCE au sein de la Troïka, et que celle-ci s’exonère de rendre des comptes sur la portée, la nature et les conséquences de son action dans ces « programmes d’assistance » au Portugal et en Grèce.
M. Constâncio soutient que cette lacune est justifiée, attendu que la BCE travaillait « en liaison » avec la Commission – comme le prévoient en effet le traité instituant le Mécanisme européen de stabilité et le règlement n°472/UE.
Cependant, M. Constâncio a ajouté qu’à cet égard la BCE n’avait aucune responsabilité propre dans les activités de la Troïka, et que « seule la Commission est juridiquement responsable » de l’ensemble des programmes.
Ma question est simple : la Commission européenne valide-t-elle cette interprétation, qui fait d’elle le responsable légal des actions de la BCE au sein de la Troïka, en totale contradiction avec l’indépendance statutaire de cette dernière ? »