La démocratie économique passe par la maîtrise du capital

La Trbune publie un article que j’ai signé avec Daniel Vasseur, économiste.

Emmanuel Macron s’illusionne sur les résultats de sa politique d’attractivité de la France. L’enjeu est celui de la démocratie économique, aussi bien au sein de la nation que de l’entreprise. Pour y parvenir, le contrôle du capital par l’Etat est essentiel.

L’actualité récente d’Alcatel, ce géant français qui passe sous pavillon finlandais, absorbé par Nokia, nous rappelle combien la détention du capital des entreprises est au cœur de toute réflexion sur notre politique industrielle. Ce rachat est la preuve qu’en dépit des discours sur un « changement de modèle » du capitalisme, visant à faire croire que l’approche « shareholder » (actionnaire) était désormais supplantée par celle de « stakeholder » (partie prenante), la réalité est toute autre, et la propriété demeure la variable centrale de toute stratégie industrielle.

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Privilégier les actionnaires à long terme

C’est à cette réalité que s’est converti, semble-t-il, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, dans sa récente défense des droits de vote doubles pour les actionnaires présent depuis plus de deux ans au capital des groupes (Le Monde, 25 avril 2015, « Retrouver l’esprit industriel du capitalisme »). Il s’agit pour l’Etat-stratège, de privilégier les actionnaires de long-terme, y compris lui-même, qui détient ses parts dans certains géants français comme Renault, EDF, Thalès, depuis plusieurs années voire plusieurs décennies. Il était temps, en effet, de s’apercevoir qu’une politique industrielle pour un pays comme la France, ne consiste pas seulement à réglementer « l’environnement » fiscal, social, des entreprises. La propriété du capital, c’est le pouvoir. Veiller sur la propriété du capital, c’est préserver la capacité d’établir des stratégies autonomes, d’anticiper, c’est, en un mot, l’avenir des industries françaises et de nos emplois.

Aussi apportons-nous tout notre soutien à la lutte menée par M. Macron pour faire accepter à Carlos Goshn, patron de Renaut-Nissan, la mise en place des droits de vote doubles pour les actionnaires de long terme. Comme l’a montré l’histoire récente de Renault, dont le capital est partiellement public mais qui a délocalisé la production et l’emploi de façon plus agressive encore que ses concurrents français, l’entreprise s’est longtemps abandonnée à un capitalisme hors-sol, pour des résultats qui, de l’avis de tous, ne sont pas à la hauteur.

La stratégie court-termiste d’Emmanuel Macron

Mais notre soutien s’arrête ici, car il est bien évident que la stratégie du ministre de l’Economie obéit à une gestion de court-terme. L’outil des droits de votes doubles, créé par le « décret Florange », seul résidu de la « Loi Florange » promue à juste titre par Arnaud Montebourg, sera mobilisé pour faciliter la vente des actions détenues par l’État. De l’aveu même du Gouvernement, il est uniquement question de pouvoir se désengager des entreprises concernées, tout en conservant le même nombre de droits de votes. En somme, le projet se résume à une espèce d’optimisation financière à court-terme réalisée par l’Agence des Participations de l’Etat, et ne ressemble en rien à l’ébauche d’une politique industrielle active.

Le refus des nationalisations temporaires, pourtant utilisées à l’étranger

Surtout, les nationalisations temporaires, comme celle d’Alstom en 2004, tellement nécessaires pour défendre les entreprises françaises en cas de crise temporaire, ou de raids de prédateurs boursiers ou de fonds de réserve souverains étrangers, restent en pratique presqu’impossibles à mettre en œuvre. M. Macron n’a cessé de lutter contre cette innovation, au nom de la peur et des réticences qu’elle pourrait inspirer aux investisseurs étrangers. Mais de nombreux autres États y ont d’ores et déjà recours. En outre, une politique industrielle ne se réduit pas à la sacro-sainte « attractivité », car faire la danse du ventre devant des groupes multinationaux pour qu’ils s’intéressent un peu à la France ne garantit en rien qu’ils ne nous faussent pas compagnie rapidement. La Royaume-Uni a montré les limites de cette stratégie qui a conduit l’emploi outre-manche à toujours plus de précarité et de bas salaires, pour une industrie aussi sinistrée qu’en France.

La résistance allemande à la déferlante financière, un exemple à suivre

C’est la raison pour laquelle, une fois n’est pas coutume, tout le monde sera d’accord pour se référer au modèle allemand, de capitalisme national – familial, mais aussi territorial, car les Landesbanken régionales, contrôlées par les différents États fédérés, et les banques allemandes jouent un rôle fondamental dans le pilotage des grands groupes industriels de ce pays. L’erreur de l’Allemagne, au cours de la période récente, réside dans la déréglementation de son marché du travail, dont les manifestations sont critiques : l’atonie de sa demande intérieure, un grand recul des droits des salariés, ainsi qu’une explosion des travailleurs précaires et de la pauvreté. Mais son véritable succès, en revanche, est d’avoir su résister à la déferlante libérale, aux opérations d’OPA, de LBO etc… qui abandonnent tant de fleurons industriels au contrôle de fonds de pension sans stratégie territoriale. En un mot comme en mille, elle résiste à la mondialisation du capital et aux modes financières anglo-saxonnes toujours présentées comme le comble de la modernité.

Emmanuel Macron ou l’illusion de l’attractivité

De ce point de vue, il reste beaucoup de chemin à parcourir à M. Macron, dont la loi en cours d’examen au Parlement facilite la privatisation d’entreprises à capital public, dans des secteurs aussi vitaux que les transports. Faut-il rappeler qu’il résulte d’une exigence de notre Constitution que tout monopole de fait, dans un secteur essentiel à la Nation, doit devenir et demeurer la propriété de la collectivité ?

L’enjeu n’est pas mince, et porte en lui un antagonisme profond d’intérêts : il est parfaitement illusoire de s’imaginer que les intérêts des investisseurs de court-terme, sans attaches à un quelconque groupe industriel ni à un quelconque territoire, pourraient converger durablement vers les intérêts d’une politique industrielle nationale, vers les intérêts des salariés, ceux des clients ou des territoires. C’est pourtant bercé par cette illusion de l’attractivité, que M. Macron promeut sans relâche, partout où il est depuis trois ans, une politique malthusienne de restriction des salaires, de baisse des dépenses publiques, ayant pour seul résultat jusqu’à présent de freiner le redémarrage de l’activité (les chefs d’entreprise se plaignent avant tout de la faiblesse de leur carnet de commande).

Maîtriser le capital pour parvenir à la démocratie économique

Aussi, nous n’attendons pas du ministre de l’Économie d’un gouvernement socialiste, qu’il « retrouve l’esprit du capitalisme »; car nous savons que « l’esprit du capitalisme » si bien décrit par Max Weber, ne concourt qu’à l’accumulation et n’a que la richesse comme but final, supérieur à la consommation elle-même. Il est vecteur d’inégalités, et ne prospère que parce que les principes démocratiques n’ont pas encore pénétré l’économie et le travail. Nous voulons, tout au contraire, retrouver le message politique essentiel du socialisme – la lutte pour compléter la démocratie politique, par la conquête de la démocratie économique, au sein de la nation comme au sein de l’entreprise. Et la démocratie économique, c’est la maîtrise du capital.

Emmanuel Maurel, député européen
Daniel Vasseur, économiste

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(Crédits photo : La tribune / DR)

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