Le frondeur Emmanuel Maurel s’attriste de voir l’exécutif mener le Parti socialiste de revers électoral en revers électoral. Mais espère lui faire changer son cap social-libéral grâce à une entente entre les différentes forces de gauche… rangées derrière le PS.
Regards. Quel est votre sentiment après ces élections départementales, concernant les scores du PS et ceux de la gauche en général ?
Emmanuel Maurel. Mon sentiment, au lendemain de la défaite, c’est d’abord de la tristesse, parce qu’il y a beaucoup de candidats qui avaient de bons projets, pour certains de bons bilans, qui sont au tapis. Tristesse mélangée d’un peu de colère parce que, hélas, s’ils ont perdu hier, ce n’est pas tant pour des raisons locales que pour des raisons nationales. La « nationalisation » du scrutin fait qu’on n’a pas parlé du tout de la réalité de l’enjeu des élections départementales. La plupart des candidats socialistes sont sanctionnés pour une politique économique et sociale qu’ils ont subi plus qu’ils ne l’ont choisie. Le constat global est que notre électorat s’abstient surtout, et que le désamour du PS n’aboutit pas à une alternative à gauche. Je pense que notre électorat est plus unitaire que nous : en réalité, il ne fait pas tellement la différence entre les différentes forces politiques à gauche. Cela nous invite à réfléchir collectivement sur la façon de sortir de cette situation par le haut.
« On ne peut pas rassembler la gauche sur une ligne qui la divise »
Dans un « contrat », la gauche du PS appelle à ce qu’une « grande Gauche se rassemble sans retard ». Une fois de plus, la seule issue pour la gauche d’opposition se trouve derrière le PS ?
Non, pas du tout. Je pense qu’il n’y a aucune tentation hégémonique aujourd’hui. Il y a la reconnaissance de deux phénomènes : premièrement, si nous ne rassemblons pas la gauche dans toutes ses composantes, nous allons au devant de graves déconvenues. Deuxièmement, aujourd’hui encore le PS reste le principal parti à gauche, et de loin. Il faut faire à partir de ces deux données objectives, c’est-à-dire mener l’action sur deux niveaux, dans et en dehors du PS. La vraie divergence que j’ai avec Hollande et Valls, une divergence très importante, est que l’on ne peut pas rassembler la gauche sur une ligne qui la divise, qui la fracture.
Alors pourquoi ne pas vous opposer plus fortement à l’exécutif ? Les frondeurs n’auraient-ils pas intérêt à faire scission ?
Mais je ne vois pas pourquoi nous ferions cela ! Le PS, c’est mon parti, je me reconnais dans son histoire, dans ses valeurs, et surtout je prends plaisir à côtoyer les militants et les élus qui ne sont pas sociaux-libéraux. La vérité, c’est que la base socialiste reste attachée à ce qui a fait notre identité. Le problème, c’est que l’on a une césure de plus en plus importante entre l’exécutif qui fonce droit devant et une base électorale et militante qui a du mal à suivre, parce qu’elle est réticente envers cette politique. Nous, nous essayons de convaincre le plus grand nombre possible de socialistes d’exprimer ce mécontentement, de créer un rapport de force pour changer de politique. C’est difficile, mais ce n’est pas impossible.
« Valls veut nous convaincre que sa politique est la seule possible »
La gauche du PS peut-elle seulement infléchir la politique du gouvernement ? On l’a vu lors de la loi Macron, Valls fait ce qu’il veut, avec ou sans vous.
De toute façon, Valls, premièrement, veut rester premier ministre. Et deuxièmement, il est chef de la majorité jusqu’à preuve du contraire. Son objectif est de convaincre les députés et les militants socialistes que la politique qu’il mène, même si elle n’a pas de résultats et nous conduit à des défaites électorales, est la seule politique possible. En réalité, peu de gens y croient. Beaucoup de socialistes sont circonspects envers la politique économique menée. D’autres sont en colère, c’est plutôt notre cas. Et puis il y a une frange, très minoritaire, qui la soutient. La difficulté pour nous est de faire en sorte que les socialistes circonspects plaident résolument en faveur d’une inflexion de cette politique. Aujourd’hui, nous sommes à un moment d’hésitation. Le 49-3 fonctionne un temps, mais il ne peut pas être utilisé sur tous les textes. C’est un peu la méthode Coué érigée en mode de gouvernement, c’est-à-dire que le lendemain de la défaite, on dit : « Ça ne nous empêchera pas de continuer comme avant. » Cela vaut une fois, deux fois… Valls nous a fait le coup une troisième fois. Je ne suis pas sûr que l’on puisse continuer longtemps ainsi. Pour une raison très simple : cela va fracturer durablement la gauche et nous allons nous retrouver en 2017 dans une situation très préjudiciable, notamment pour le président sortant.
Pourquoi les frondeurs ne participent ni aux Chantiers d’espoir, ni aux manifestations contre la loi Macron ?
Je n’y participe pas dans le sens où je n’ai pas signé cet appel, mais tant qu’il y a du débat à gauche, cela m’intéresse. Cela ne m’empêchera pas de m’y rendre. Quant à la manifestation du 9 avril, c’est une manifestation plus générale que contre la loi Macron. Mais il n’est pas inutile que le mouvement social se mobilise dans ce pays, que les syndicats fassent part de leur mécontentement, y compris quant la gauche est au pouvoir.
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