Oui, M. Julliard, un besoin de gauche !

Retrouvez la tribune d’Emmanuel Maurel parue dans le magazine Marianne.

Dans son dernier éditorial, M. Julliard convoque Lewis Carroll et le Père Noël (excusez du peu !) pour moquer une formule utilisée par moi le soir du second tour des élections municipales. A l’encontre des apparences, je prétendais en effet que ce scrutin témoignait d’un « indéniable besoin de gauche ».

« La France vote à droite », rétorque M. Julliard.  A un homme de lettres, je demande de m’excuser par avance d’opposer le triste prosaïsme des chiffres.

Entre 2008 et 2014, la droite n’a pas progressé en nombre de suffrages exprimés. En pourcentage, elle passe de 45,3 % à 45,9 %. A contrario, la gauche, elle, s’effondre : elle réalise 43,8% des voix en 2014 là où elle en totalisait 50,9 % en 2008. Le différentiel de participation est également frappant : là où François Hollande rassemblait plus de 60 % des suffrages exprimés le 6 mai 2012, l’abstention atteint 43,1 % ; là où il en recueillait moins de 50 %, l’abstention n’est plus que de 38,6 %.

La droite ne s’est pas plus mobilisée que d’habitude, ce sont les électeurs de gauche, et singulièrement les socialistes, qui ont boudé les urnes. Il n’y a pas de vague bleue. Il y a une énorme vague blanche, nourrie par la déception, l’impatience, parfois même la colère. A défaut d’un « besoin », cette abstention-sanction de gauche témoigne bien, et même M. Julliard n’en disconviendra pas, d’un « manque ». Oui, la gauche manque à une partie de nos électeurs qui se sont reconnus dans le message de la campagne de 2012, et qui ne se retrouvent pas toujours dans une politique qui trop souvent s’en éloigne.

Mais le reste de la gauche ne profite pas de la déroute du PS, observe finement l’éditorialiste. Ça se discute. Certes, EELV et le Parti communiste ne font pas des percées spectaculaires. Mais ils résistent relativement mieux que les socialistes. Bien entendu, il n’y a pas de principe des vases communicants entre les forces.  Pour mieux étayer son implacable démonstration, M. Julliard fait mine de s’en étonner. C’est oublier que c’est le cas…depuis plus de trente ans ! Pour nos électeurs, même diverse, la gauche est une. Quand le PS défaille, le reste de la gauche en pâtit.

De ces constats, je tirai le soir du second tour des municipales une conclusion : il faut mener une politique plus équilibrée (qui privilégie la relance de l’activité économique à la baisse des dépenses publiques, qui cesse de résumer la question de la compétitivité au seul « coût du travail », et qui fasse de la réorientation de la construction européenne une priorité absolue), soutenue par une majorité plus large (qui rassemble les forces qui ont épaulé François Hollande en mai 2012).

Pour le reste, je fais évidemment mienne l’interprétation « non politicienne » de Jacques Julliard. Le scrutin de dimanche révèle une colère grandissante devant l’apparente impuissance des hommes politiques à peser sur le cours des choses, à maîtriser un monde où l’argent est la mesure de tout. Quand les dirigeants semblent redouter la pression des marchés financiers plutôt que la colère des peuples, comment leur donner tort ?

Mais, de ce constat lucide, M. Julliard tire une conclusion surprenante : « Même de gauche, les électeurs ne croient pas à l’autre politique ». Ainsi donc, les électeurs sanctionneraient une ligne qu’ils considèreraient pourtant comme la seule possible ? Cela ne tient pas. Pour une raison simple. Le peuple, dans sa grande sagesse, n’a jamais cru que la politique se réduisait à un choix entre deux seules options : celle des raisonnables (il fut un temps où ils s’enorgueillissaient d’appartenir à un « cercle ») et celle des irréalistes (tous les « autres »). Il y a une multitude de politiques possibles. Il y a des dizaines de choix. A commencer par celui de changer de cap quand les résultats ne sont pas au rendez-vous.

 

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