L’histoire nous sert sur un plateau d’argent un scénario rêvé. Nous pouvons prouver à tous ceux qui attendent de nous le redressement du pays, qui espèrent que nous fassions de la France le lieu où se nouera la contre-offensive à la plus formidable entreprise de déstabilisation de l’Etat providence qui se sert de la crise comme prétexte, nous pouvons leur prouver, enfin, que le 6 mai ne fut pas un malentendu, que le retour de la gauche au pouvoir dans ce pays peut correspondre à un véritable basculement.
Le moment est dramatique ? C’est donc maintenant qu’il faut l’écrire, ce roman du rêve français, de la République retrouvée, du rétablissement des valeurs auxquelles nous croyons. C’est dans la tempête qu’on mesure la valeur des capitaines ? Alors allons-y, tous sur le pont !
L’évasion fiscale est un acte félon pour le citoyen, c’est un crime de lèse vivre ensemble, une outrance à la première des dignités collectives : la volonté partagée de nous construire un destin commun, de nous élever au dessus des barbaries quotidiennes produites par l’égoïsme. Un récent livre très documenté d’Antoine Peillon affirme qu’il manque 600 milliards à la France ? La voilà, notre Bastille ! Et tout cœur français sait ce qu’il a à faire face à la Bastille. Chaque époque a la malice de nous désigner ses Bastilles. Etre au rendez-vous de l’Histoire consiste à les prendre…
Une bonne nouvelle dans ce bordel. Le projet « Offshore leaks ». Il vient comme une main tendue à ceux qui cherchent à sortir par le haut de cette séquence politique détestable. Il désigne les cibles. Honorable et salutaire travail. C’est là le rôle des journalistes d’investigation qui ont fondé ce collectif à la manière des groupes de scientifiques qui mettent en commun et en réseau leurs moyens et leurs connaissances pour trouver des solutions aux problèmes de l’infiniment grand et de l’infiniment petit.
Ne vient-on pas d’établir une photographie de l’Univers à sa naissance, il y a treize milliards d’années ? N’avons-nous pas deux robots sur Mars qui représentent le génie de la collaboration humaine, transcendant tout ce que les carcans nationaux peuvent imposer comme limites ? Il devrait en être du ciel au dessus de nos têtes comme de la réalité bien matérielle qui nous préoccupe. La collaboration entre les nations peut révéler les mystères de notre univers ? Elle doit aussi pouvoir permettre de révéler les mystères des paradis fiscaux. C’est une exigence démocratique : le politique doit l’imposer.
Nous savons où est l’argent. La volonté politique doit désormais prendre le relais pour le récupérer. Nous devons nous mettre en place avec nos partenaires tous les moyens possibles pour empêcher que ce fléau continue de miner les finances publiques. L’austérité, déjà indécente par bien des aspects ne peut être moralement défendue et justifiée dans un tel contexte. Les politiques ne peuvent plus accepter d’être les grooms du fric mondialisé.
Les écarts de richesses entre ceux qui ont le plus et ceux qui ont le moins sont les même qu’à la mi-temps du XIXe siècle. Le repli sur soi fait des ravages, les tensions s’exacerbent partout, le communautarisme progresse, les ghettos de riches narguent de leur opulence les ghettos de pauvres. Le corps social est excédé.
Cette exaspération, nous ne devons pas seulement l’entendre et la relayer, nous devons lui donner une forme politique. Elle doit inspirer la cohérence de notre action. Nous avons tant aimé nos rêves de fraternité et de progrès social. A ces rêves ont toujours correspondu des défis. Relevons-les, une fois encore. Notre modèle social, notre idéal commun, produit des Lumières, la France, l’Europe, le méritent. Sinon, à quoi bon s’être tant battu pour revenir au pouvoir ?
Emmanuel Maurel, membre du Bureau national du PS, animateur du courant Maintenant la gauche.
Jérôme Guedj, député et président du conseil général de l’Essonne, membre du Bureau national du PS.
Renaud Chenu, essayiste. Dernier ouvrage paru : Antimanuel de guérilla politique (avec Jean-Laurent Lastelle), Ed. Gawséwitch, mars 2012.
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