Un article de Médiapart revient sur la situation politique actuelle. Par Stéphane ALLIÈS et Mathieu MAGNAUDEIX, publié le jeudi 29 novembre 2012
Les blagues n’ont qu’un temps. Chez les socialistes, la situation à l’UMP a d’abord fait sourire, rappelant à certains les affres pas si lointaines du congrès de Reims (« Martine et Ségolène ont laissé les lieutenants se disputer mais ne sont jamais allées aussi loin», souligne le député Jean-Marc Germain, proche d’Aubry) ou les bourrages d’urnes (« le coup des procurations préremplies, c’est exactement ce qu’on faisait lors des élections à la Mnef… », sourit un cadre du PS).
Puis, la crise de la droite a commencé à irriter des députés de gauche bien moins sollicités qu’à l’habitude. « Ah, ça fait tout drôle de voir un journaliste s’intéresser encore à nous… On bosse mais plus personne n’en parle », rit l’écologiste Denis Baupin. La socialiste Annick Lepetit se désole elle aussi : « On a l’impression d’être en vacances !» Co-président du groupe écologiste, François de Rugy s’agace aussi : « Depuis une semaine on ne parle ici que de Cocoe et de Conare, mais pas de politique. L’Assemblée nationale ne peut être le champ de bataille d’une querelle de personnes… »
Mardi soir, en marge de l’audition de Lionel Jospin par la commission des lois, on pouvait voir une Nathalie Kosciusko-Morizet entrer par erreur dans la salle, avant de repartir sans mot dire. Puis à la sortie, alors que seuls six députés UMP avaient fait acte de présence, on pouvait voir débouler dans les couloirs du deuxième sous-sol Jean-François Copé et une trentaine d’élus sortant de réunion dans une salle voisine. Dans les couloirs de l’Assemblée, la majorité de gauche ne se plaint pas trop. Le projet de loi Duflot a été adopté en quelques heures la semaine dernière. Pendant la discussion sur le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale (PLFSS), lundi soir, les amendements sur l’IVG, la taxation de la bière ou l’extension du « congé d’accueil de l’enfant » aux couples homosexuels sont passés comme une lettre à la poste. Le texte a été adopté en une soirée, alors que le débat avait été très vif en première lecture il y a quelques semaines (lire notre article). Depuis l’élection de la nouvelle assemblée, l’UMP était particulièrement virulente dans l’hémicycle. Elle multipliait les incidents de séance. Depuis une semaine, c’est plus calme. « Il y a un effet positif, abonde Jean-Marc Germain : pour un petit moment, ils vont devoir en rabattre et se calmer. » « L’aspect positif, c’est que ça va plus vite. L’aspect négatif, c’est qu’il n’y a pas de débat de fond », résume magnanime Thierry Mandon, porte-parole du groupe PS. Mais plus la crise à droite s’éternise, plus la majorité socialiste commence à s’inquiéter des conséquences à long terme d’une telle déflagration.
« Au-delà des réjouissances conjoncturelles, comme celle de voir que la motion de censure annoncée par Copé n’est plus d’actualité, il y a plutôt une inquiétude structurelle : celle de voir la droite se décomposer, et un FN qui engrange sans rien avoir à faire », confie un conseiller de François Hollande. « Officiellement, on ne communique pas, aucune vanne, aucune allusion, ajoute-t-il. Hors de question de fanfaronner comme Sarkozy l’avait fait après le congrès de Reims, en se prenant pour le DRH du PS. On voit où ça mène »…
Un autre proche du président refuse tout net d’entrer dans des prédictions stratégiques : « On s’en fout complètement. On ne s’y intéresse pas, on s’intéresse à nous, à ce qu’on fait, au pays. Cela donne une image lamentable de la politique, quand nos problèmes à nous, c’est Florange, c’est le chômage qui explose…» Le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, veut croire qu’en restant « concentré sur la réussite de l’action mise en oeuvre par le président de la République et le premier ministre », il est possible d’incarner crédibilité et sérieux face à l’ambiance délétère du camp d’en face. « Nous, nous sommes dans le bon scénario », assène-t-il.
Le moment de « reprendre la bataille idéologique » ?
À plus long terme, l’implosion de l’UMP ne réjouit pas franchement la majorité. « Quoi qu’il se passe, on va devoir se taper une droite qui va redoubler dans la surenchère primaire et radicalisée, redoute t-on à l’Élysée. Soit pour se ressouder, soit pour se distinguer. » Autre motif récurrent d’inquiétude : se retrouver embringué dans « un très mauvais film pour la démocratie », selon les termes de Bruno Le Roux. « Un tel dysfonctionnement dans le principal parti d’opposition n’est pas bon pour nous, car on a besoin de partis forts et capables de dialoguer dans l’élaboration de la loi, soupire Jean-Marc Germain. En outre, le discrédit de l’UMP rejaillit sur toute la classe politique et entame la crédibilité générale. » « Au fond, c’est une très mauvaise nouvelle, appuie le député Gwenegan Bui. On le voit très concrètement en Bretagne, où le centre va se renforcer des errances de la droite – on l’a déjà vu avec le ralliement de Méhaignerie à l’UDI – et représenter à nouveau une concurrence sérieuse pour nous. » D’après lui, « avoir un Copé sans contrepoids comme premier opposant à l’Assemblée, ça signifie une radicalisation totale au seul profit du FN. Imaginez que le FN était déjà fort en 2012, avec une droite pourtant bien en rang derrière Sarko. Alors avec une droite explosée, ça ne sent pas bon pour 2014, 2015 et 2017. »
La sénatrice PS Laurence Rossignol, en revanche, ne souhaite pas tomber dans l’excès de catastrophisme. « Je ne confonds pas l’UMP et la République. La crise démocratique de l’UMP n’est pas une crise démocratique du pays. Je ne verserai pas de larmes de crocodile…, assume-t-elle. D’autant que je me souviens du sénateur Philippe Marini au lendemain du 21 avril. Il s’exclamait que peu importait la présence du FN au second tour. Pour lui, l’important, c’était la défaite de la gauche. »
Reste la question de la ligne politique. « En ce moment, la situation pourrait nous permettre de reprendre la main, de pouvoir imposer à nouveau un peu de gauche, sans que le pouvoir soit tétanisé », espère un député aubryste. Un point de vue que partage Emmanuel Maurel, responsable de l’aile gauche du PS. « Il y a désormais deux scénarios possibles pour la majorité face à la droite explosée, explique-t il : soit la tentation du recentrage, dont il faut bien avouer qu’elle est déjà entamée, afin de mordre sur un électorat centriste écoeuré sur sa droite. Soit un autre scénario, privilégiant un travail de rassemblement à gauche, pour accentuer le contraste avec la droite divisée. Ce serait faire le pari de l’idéologie solidaire des socialistes, face à la violence de l’idéologie libérale entraînant la violence interne à droite. »
Emmanuel Maurel, récente surprise du dernier congrès socialiste, qui a recueilli près de 30 % des voix militantes face à Harlem Désir, l’espère : « Si ce n’est pas encore le scénario privilégié par le pouvoir, on voit bien que certains comprennent le danger du recentrage, comme Montebourg qui se convertit à la nationalisation de Florange, ou Hamon qui va signer des accords commerciaux au Venezuela. C’est le moment d’en profiter pour reprendre la bataille idéologique. »
Pourtant, ils sont de plus en plus de députés à dresser le constat que le gouvernement n’entend aucunement profiter du chaos chez ses adversaires pour revenir sur sa récente conversion au social-libéralisme.
Compétitivité version « hard »
Les déchirements à l’UMP ont en effet surtout permis au gouvernement (du moins pour l’instant) d’étouffer un débat potentiellement explosif dans sa majorité. « Au moins autant que le traité européen», selon un député socialiste. Mercredi dernier, alors que la guerre Copé-Fillon battait son plein, le gouvernement a décidé d’accélérer l’adoption du crédit impôt recherche, cette ristourne fiscale de 20 milliards d’euros pour les entreprises, et qui sera financée par des hausses de TVA en 2014 et de nouvelles économies de l’État. En théorie, ce “pack” compétitivité n’aurait dû être discuté qu’en janvier. Il le sera finalement en début de semaine prochaine.
Cette accélération du calendrier justifiée mercredi par François Hollande en personne (« chaque jour maintenant compte », a dit le président de la République au lendemain de très mauvais chiffres du chômage) n’a guère plu aux députés. Le rapporteur général du budget, Christian Eckert, s’en est plaint sur son blog. « D’accord, ce qui se passe à l’UMP nous est favorable, mais le gouvernement devrait quand même faire attention », peste une socialiste.
D’autant qu’aux députés qui exigent des contreparties importantes pour contrebalancer ce cadeau fiscal aux entreprises, Matignon a présenté une version très « hard » : pas de contrôle a priori, pas de critères, et une montée en puissance encore plus rapide, sur deux ans au lieu de trois. Ce qui vient encore un peu plus confirmer le tournant de l’exécutif vers une politique de l’offre, pas vraiment conforme à l’ADN socialiste.
Lundi soir, les députés socialistes de la commission des finances conviés à Matignon ont eu l’occasion d’exprimer leurs divergences. « On est passé d’une discussion sur la compétitivité et l’industrie à la mise en place d’un financement inconditionnel et indifférencié qui était la revendication du Medef !» tempête Pascal Cherki, député de Paris, membre de l’aile gauche, qui parle d’un « grand malaise » dans le groupe PS. « On va faire un crédit d’impôt au Fouquet’s et au PSG ? Aux banques, à Total et à Disney ? On va donc créer le bouclier Mittal ? » Certains députés voulaient sortir les banques et la grande distribution de ce dispositif, mais le gouvernement a refusé : trop compliqué. Lors du débat, Pascal Cherki déposera tout de même un amendement pour sortir les sociétés cotées en bourse. Sans grande chance…
Ces derniers jours, les réunions du groupe ont été très animées. Mercredi soir, lors d’une commission des finances assez houleuse introduite par les ministres Sapin et Moscovici, les socialistes ont fait voter des sous-amendements qui cadrent un peu mieux le dispositif, notamment sur les principes. Les entreprises devront rendre compte de l’utilisation du crédit d’impôt dans leurs comptes annuels. Une loi en janvier aura pour objet de créer un comité de suivi dont les contours sont encore flous et de préciser les modalités de contrôle par les partenaires sociaux, qui négocient actuellement sur l’emploi.
« C’est tout petit », concède Thomas Thévenoud, député PS de Saône-et-Loire, « Mais on partait de pas grand-chose ! il a fallu vraiment s’organiser pour obtenir ça », dit-il, signe de l’inflexibilité de Matignon qui souhaitait par-dessus tout un dispositif simple. « On n’est pas dans la défiance aux entreprises, mais c’est quand même 20 milliards d’euros ! » justifie Thévenoud. « On ne peut pas vraiment peser de façon significative sur le dispositif… », souffle Régis Juanico. «S’il apparaît (…) que certains secteurs n’ont pas respecté les objectifs, il sera alors nécessaire d’introduire de la conditionnalité », a annoncé jeudi dans Les Echos le président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux, pour tenter de rassurer sa base. «Il faudra changer le dispositif s’il ne garantit ni une meilleure santé des entreprises, s’il ne favorise pas la recherche et l’innovation», a encore précisé jeudi matin le chef de file du groupe PS à l’Assemblée interrogé par plusieurs médias, dont Mediapart.
Avec ce choix d’une politique de l’offre hasardeuse («un pari», concède le député socialiste Pierre-Alain Muet), et alors que le chômage explose, plusieurs députés ont le sentiment de mettre le doigt dans un engrenage infernal. « On est à un moment charnière du quinquennat, note un député, sous couvert d’anonymat. Cette épisode laissera des traces. Dans le groupe, la colère est sourde, mais réelle. Ce projet de loi sera voté, sans aucun doute. Mais mine de rien, le choix social-démocrate est réellement assumé désormais. Si ça permet de relancer la machine économique, très bien. Mais si dans quelques années on se rend compte que ça ne marche pas, le quinquennat risque de mal se terminer. » Avec ou sans UMP.