Tribune d’Emmanuel Maurel sur Libération.fr Plus c’est gros, plus ça passe. Pour ne pas avoir à répondre de sa politique en matière d’emploi, le président candidat essaie de détourner l’attention sur les chômeurs !
Le premier ministre s’est lancé à son tour dans une inquiétante improvisation, privilégiant la stigmatisation et la division.
D’abord l’improvisation: on a beau être en campagne, il y a des sujets graves qui méritent mieux que des déclarations à l’emporte pièce. Pas moins de trois propositions de référendums différentes en trois jours, voilà qui en dit long sur le sérieux de Messieurs Fillon et Sarkozy. Deux chiffres sont balancés au petit bonheur la chance, censés étayer une éclatante «démonstration». La formation professionnelle en France coûte chaque année environ trente milliards d’euros. Et seuls 10% des chômeurs bénéficient d’une formation. Il suffirait donc de consacrer ces trente milliards à la formation des chômeurs, et la France retrouvera le chemin de l’emploi.
La fausse cagnotte de 30 milliards
Nicolas Sarkozy nous a habitués aux raisonnements hasardeux. Mais de la part d’un ancien ministre du travail, on était en droit d’attendre moins d’amateurisme. Les désormais fameux «30 milliards» de la formation professionnelle, que Fillon fait mine d’avoir découvert sous le sabot d’un cheval, ne servent pas à rien! Il suffit de se référer au document budgétaire publié par le ministère des finances pour s’en convaincre. 5 milliards participent au financement de l’apprentissage, décrété grande cause nationale par le gouvernement. 13 milliards sont consacrés par les entreprises à la formation continue de leurs salariés. Et plus de 6 milliards permettent aux fonctionnaires de s’adapter aux évolutions de leur métier!
Si l’on suit l’argumentation du premier ministre, il faudrait affecter intégralement ces financements (dont plus de la moitié ne sont pas des fonds d’Etat!) à la formation des actifs privés d’emploi. C’est oublier que la plupart des chômeurs n’ont pas besoin de formation, ils ont besoin de travail! La majorité d’entre eux ne manquent en effet ni de qualification, ni même d’expérience: mais, dans cette période de crise aggravée par la politique gouvernementale, les entreprises n’embauchent pas. Et si, en effet, un faible nombre de demandeurs d’emploi bénéficient d’une formation, c’est aussi que les différentes institutions auxquelles était assignée cette mission sont exsangues après 5 ans de gouvernement UMP: l’AFPA a été démantelée, et les licenciements à Pôle emploi se succèdent. Quant aux crédits Etat dédiés à la formation des demandeurs d’emploi, ils ont considérablement diminué (-5% cette année).
Nicolas Sarkozy accuse les chômeurs
Si Messieurs Sarkozy et Fillon ne s’embarrassent pas de détails, c’est qu’ils ne cherchent pas à convaincre, mais bien à faire diversion. Et qu’ils ne rechignent pour ce faire ni à diviser, ni à stigmatiser.
La division, on le sait, est un grand classique du sarkozysme qui n’aime rien tant que de dresser les Français les uns contre les autres. A l’occasion de son entretien sur TF1, comme lors de son discours de Marseille, le président candidat a une fois de plus versé dans son regrettable travers. Il oppose les salariés aux chômeurs, et, à l’intérieur de cette catégorie, les chômeurs de longue durée et les autres. Les premiers, devenus selon lui quasiment inemployables méritent d’être indemnisés grâce à la solidarité nationale. Quant aux autres, il laisse entendre que si ils acceptaient de suivre une formation dans un secteur «en tension» (donc censé être fortement pourvoyeur d’emplois), ils retrouveraient aisément un travail. Entre les lignes, il y a cette idée selon laquelle les actifs qui restent chômeurs…y sont un peu pour quelque chose!
D’où ce slogan de la formation «forcée» sous peine de retrait d’allocation, qui ferait l’objet d’un référendum. Nicolas Sarkozy a lamentablement échoué à endiguer le chômage, et il serait presque à en accuser les chômeurs eux-mêmes!
Cette pratique de la stigmatisation ne s’arrête pas là aux seules victimes de la crise. Elle vise également à délégitimer les «corps intermédiaires», à commencer par les syndicats, qui, à écouter l’exécutif, seraient à l’origine de nombreux «blocages» en matière de formation. Cette façon de passer par-dessus bord le paritarisme et le dialogue social ne laisse pas d’étonner de la part d’un candidat qui ne jure par ailleurs que par le trop fameux «exemple allemand», dont chacun connaît l’attachement à la cogestion. On n’est pas à une contradiction près.
Un système trop complexe
Bref, un sujet aussi grave ne mérite pas d’être l’otage d’un lancement de campagne cafouilleux. Au contraire, le sérieux est de mise car la formation professionnelle reste un levier essentiel pour l’emploi. Or les réformettes successives n’ont pas permis de simplifier un système trop complexe et trop opaque dans lequel le principal bénéficiaire (le salarié, mais surtout le jeune en insertion ou le demandeur d’emploi) a souvent du mal à se repérer.
La gauche victorieuse aux prochaines élections nationales devra remettre l’ouvrage sur le métier, en prenant bien soin d’associer tous les acteurs du secteur (à commencer par les partenaires sociaux) et sans reproduire la même erreur que le gouvernement sortant, consistant à nier purement et simplement le rôle des collectivités territoriales compétentes en matière de formation et d’apprentissage. La politique du «tout sauf la région» est d’autant plus absurde qu’elle contredit une action plutôt efficace sur le terrain. Pour ne prendre que l’exemple de la région Ile-de-France présidée par Jean-Paul Huchon, c’est chaque année près de 124 000 actifs, en grande majorité de niveau CAP et Bac, qui bénéficient de notre action en faveur de la formation professionnelle. Et ce sont plus de 57000 formations qualifiantes pour les chômeurs (et non des stages parking). Un chiffre à comparer aux 11000 formations financées par Pôle emploi dans la région capitale. Les résultats sont au rendez-vous: six mois après leur sortie de formation, près de 50% des bénéficiaires ont retrouvé un emploi.
Alors, bien sûr, ces résultats doivent être largement améliorés. C’est possible, pourvu que la future négociation porte, au delà des questions de financement et de «gouvernance», sur l’accompagnement individuel des demandeurs d’emploi, la territorialisation des politiques et l’anticipation des mutations économiques. De nombreuses expériences de sécurisation des parcours professionnels, privilégiant la coopération et le partenariat, sont aujourd’hui menées partout en France. Il serait opportun de s’en inspirer, tout en travaillant à une meilleure coordination et à une impérative simplification. Dans ces domaines aussi, le changement est possible!
Par Emmanuel MAUREL, vice-président de la région Ile-de-France en charge de la formation professionnelle et secrétaire national du PS