Les gouvernants ont beau vanter les mérites de l’ « Europe qui protège », les gouvernés persistent à craindre « l’Europe qui menace ». Le « non » irlandais, net et sans bavure, en témoigne. Les analystes déçus voire « effondrés »vont multiplier les décodages savants. Quitte à tordre un peu la réalité.
Bien sûr, le « non » irlandais est hétérogène. Bien sûr, il y a, dans le front du refus, une indéniable composante nationaliste et une autre libérale. Bien sûr, le « non » irlandais n’est pas le « non » français. Pourtant, il y a une réalité commune, tangible : celle de la dimension sociologique. Les classes populaires ont voté massivement contre le traité de Lisbonne. Et c’est en cela que la gauche, qui prétend les représenter, est concernée au premier chef par ce vote.
Ce ne sont évidemment pas les questions institutionnelles qui mobilisent les électeurs contre les textes qui leur sont soumis (quand ils le sont), ce sont les politiques européennes. Or celles-ci (on l’évoquait dans ces colonnes la semaine passée) contribuent à fragiliser voire à précariser les populations les plus vulnérables face à la mondialisation libérale. Sans réorientation profonde de la construction européenne, les peuples continueront à se détourner de l’Union.
Une partie des élites dirigeantes persistent à ignorer ces évidences. Le mépris affiché par certains responsables pour ce qu’ils considèrent comme un « mouvement d’humeur » injustifié venant d’un « petit peuple », « qui a pourtant beaucoup profité des subventions communautaires », en dit long sur l’état d’esprit de ces gens-là.
Dès lors, rien d’étonnant à ce que la ratification (par voie parlementaire) poursuive son cours. L’Irlande est, implicitement ou explicitement, invitée à revoter. Voire à dégager! Cet aveuglement n’est pas nouveau. Plutôt que de s’interroger sur les raisons de la crise, les dirigeants de l’Union sont tentés, une fois de plus, par le passage en force et la fuite en avant. Quitte à tuer, définitivement, la belle idée européenne.