En voilà un débat comme on les aime! En voilà une controverse rafraîchissante! Bertrand Delanoë est un pro de la communication. Rien de tel, en effet, pour lancer un bouquin, qu’une bonne vieille polémique de derrière les fagots. Agiter le chiffon bleu du « libéralisme » devant un parterre de socialistes, l’effet est garanti. Depuis une semaine, les commentaires s’affolent. Et nous resservent une soupe. Oui, évidemment, on peut être socialiste et libéral, écrivent doctement les éditorialistes. Oui, il faut saluer le « courage », l’ « audace » de cet élu de terrain qui n’hésite pas à bousculer les conformismes d’une gauche confite dans ces certitudes archaïques… j’en passe et des meilleures.
Les amis du maire de Paris se font exégètes. « Attention, si Delanoë emploie ce terme, c’est parce qu’il est favorable….aux libertés politiques et sociétales ». Immense nouvelle, intense rénovation : les socialistes français se convertissent donc à la défense de la démocratie. Il était temps! Il paraît qu’il y a des gogos pour croire à cette version : comme si le congrès de Tours (1920) n’avait pas déjà tranché la question! Comme si, au cours de son histoire tumultueuse, la gauche française n’avait pas fait la preuve de son attachement à la liberté, à la création de nouveaux droits!
Cette explication de texte ne trompe personne, et Delanoë est trop intelligent pour ne pas utiliser un terme à bon escient. Il sait que le libéralisme, dans l’opinion commune française, désigne une doctrine économique selon laquelle il ne faut pas entraver la libre concurrence et le jeu du marché. Il sait que le libéralisme économique s’accommode mal de la volonté de régulation et de redistribution des richesses qui fait le cœur de l’idéologie traditionnelle de la gauche. D’ailleurs, il enfonce le clou : « je préfère la notion de justice à celle d’égalité » (petit clin d’œil à John Rawls, idéologue de référence de la gauche moderne).
Au-delà d’une polémique largement artificielle, Delanoë envoie un signal. Aux décideurs et aux commentateurs, il indique qu’il en est, lui aussi, du camp de la modernité et de la réforme! Le même que celui de Rocard jadis, des zélateurs de la gauche américaine (hier) et du social-libéralisme européen (aujourd’hui). On pourra compter sur lui pour dépoussiérer le PS, le débarrasser de son « surmoi révolutionnaire ». C’est l’essentiel.
Accessoirement, cette affaire nous aura donné l’occasion de rigoler un peu. Ségolène Royal se paie ainsi le luxe de doubler son concurrent par la gauche. L’ancienne adepte de la triangulation blairiste, la championne de l’alliance au centre vient ainsi de condamner la tentation « d’aller piocher chez la droite son idéologie et son vocabulaire ». Et Julien Dray redevient marxiste! Tout est possible!