Les puissants aiment que les choses soient en ordre. Rien de pire que les incertitudes. Les grands amateurs de la précarité pour le monde du travail détestent par-dessus tout la précarité de la vie politique. Ils veulent du solide : un paysage d’une grande fixité, sans risque d’éclatement des frontières. D’où ce rêve longtemps caressé : une gauche durablement coupée en deux. Une fraction non négligeable vouée à la seule contestation, une majorité destinée à la gestion.
Longtemps, la césure entre le PCF et les socialistes a permis la domination de la droite. La stratégie d’union de la gauche, combattu avec une violence inouïe par les « modernes » autoproclamés de l’époque, a fait turbuler le système. Mais celui-ci a des ressources. En témoigne l’instrumentalisation actuelle du très médiatique Olivier Besancenot et de son projet de parti anticapitaliste. N’importe quel socialiste avancerait le quart des propositions (plutôt modérées) du leader de la LCR, il serait immédiatement voué aux gémonies, qualifié d’archaïque, de sectaire, de ringard. Ici, rien de tout cela. Besancenot est jeune (ah, folle jeunesse), frais, neuf, gentil. Ses intentions sont pures, ses coups de gueule salutaires.
Le point d’orgue de cette campagne (autant utiliser le bon mot), ce fut évidemment cette après-midi chez Drucker. Cela nous a valu quelques moments de franche rigolade : l’animateur du dimanche consulte frénétiquement ses fiches pour y vérifier le niveau du SMIC (surtout, éviter de rajouter un zéro!), il s’attendrit devant ces petites gens, pour une fois présentes sur son plateau, qui le regardent peut être chaque semaine mais qu’il croise rarement. Besancenot est un « surdoué », c’est Drucker qui le dit (un avis d’expert). Mais surtout, Besancenot est sympathique. Et pour cause : il ne veut pas gouverner.
Pour les faiseurs d’opinion et les gardiens du temple bourgeois, c’est sa principale qualité. Gageons que si, par miracle, il affirmait sa volonté de travailler avec toute la gauche pour parvenir aux responsabilités et essayer de transformer la société, il se ferait copieusement insulter. Mais, malin, Tintin le rouge a donné des gages : il hait les socialos et attend sagement la révolution. Tout le monde peut dormir tranquille. D’une pierre deux coups : l’union des gauches étant impossible, le PS se voit sommer par le club des éditorialistes d’aller chercher des alliés ailleurs. La modernité est au centre. La radicalité n’est acceptable que maniée par ceux qui jurent de ne jamais s’en servir.
Ultime coup de pouce : le pouvoir s’apprête à modifier les modes de scrutin, notamment pour les prochaines régionales : la proportionnelle à un tour, c’est bon pour la dispersion de la gauche.