Les élections municipales et cantonales ont occulté, pendant quelques semaines, des sujets d’une importance capitale. La crise financière, par exemple, d’une ampleur inédite, a, jusqu’à aujourd’hui, fait l’objet d’un traitement trop timide. En matière de politique étrangère, si les yeux des commentateurs sont rivés, à juste titre, sur le Tibet, et, dans une moindre mesure, sur le déplacement du couple présidentiel en Grande Bretagne, les récentes rumeurs, alimentées par le Canard enchaîné et plus récemment par le Times sur un renforcement des troupes françaises en Afghanistan n’ont pas fait l’objet d’une immense publicité. Bernard Kouchner a pourtant lui-même confirmé l’information.
Il s’agit là d’une affaire cruciale. Pendant la campagne présidentielle, le candidat de l’UMP avait déclaré que la présence des troupes françaises dans cette partie du monde n’était pas «décisive», encore moins éternelle. Il semblerait que le chef de l’État s’apprête à tourner casaque. Sarkozy serait en effet décidé à envoyer près de 1000 soldats supplémentaires dans l’Est de l’Afghanistan. La primeur de cette annonce serait réservée au prochain sommet de l’OTAN début avril.
Ce n’est un secret pour personne : Sarkozy a fait du « réchauffement » des relations diplomatiques avec les États Unis la pierre angulaire de sa politique étrangère. Il a multiplié les signes amicaux en direction de l’administration Bush, et accumulé les déclarations sur la nécessaire « rénovation » de l’alliance Atlantique. En septembre 2007, le président français se disait même prêt à rejoindre la structure de commandement militaire de l’OTAN (la France n’y participe plus depuis la décision de Gaulle en 1966).
L’envoi de troupes en Afghanistan, s’il se confirmait, constituerait un nouveau cadeau aux Etats Unis… qui en ont tant besoin aujourd’hui. Embourbés en Irak, les militaires US le sont également chez les afghans. Les talibans, loin d’avoir disparu, reprennent du poil de la bête. Le pays est ravagé, et les promesses de retour rapide à la paix, à la démocratie et à la prospérité, ont fait long feu. Tous les jours, des soldats de la FIAS (force internationale d’assistance à la sécurité, envoyée par l’ONU) sont blessés ou meurent. Dans ce contexte, pourquoi faudrait-il renforcer le contingent français, déjà fort de 2000 hommes? Cette question, de nombreux parlementaires, de l’opposition comme de la majorité, rêveraient de la poser. Cela se fait ailleurs. Pas chez nous : rien n’est prévu par le gouvernement, à quelques jours du sommet de l’OTAN.
Il y aurait pourtant beaucoup à dire. Sept ans après l’invasion de l’Afghanistan, comment expliquer en effet que le pays reste à ce point dangereux? Comment expliquer que la situation humanitaire reste à ce point préoccupante après l’injection de plusieurs milliards de dollars? Comment interpréter le retour en force des talibans, chassés en quelques jours en 2001? Avant de prendre la moindre décision exposant la vie des soldats français, il serait bon de prendre le temps de répondre à ces questions.