Cachez donc ce krach que je ne saurais voir. Pendant quelques jours, le « scandale » de la société générale va occulter le désastre boursier consécutif à la crise des subprimes. Une certaine presse préfère en effet raconter des histoires à sensation plutôt que de se livrer à l’analyse froide des faits : le jeune « trader fou » qui fait perdre, à lui tout seul, près de 5 milliards d’euros à une grande banque française, en voilà un beau scénario!
En réalité, il y a bien un lien entre l’affaire « société générale » et la crise. Jérôme Kerviel, c’est le bouc émissaire idéal : il n’y a que les gogos qui imaginent que ce monsieur ait pu engager de telles sommes sans qu’à aucun moment sa hiérarchie n’en ait été informée (rappelons que pour perdre 5 milliards, il faut « miser « bien davantage).
En réalité, le trader s’est contenté, certes avec beaucoup de zèle, de faire ce pourquoi on le paie : spéculer sur des marchés à risques, jouer gros pour gagner gros ou perdre beaucoup. Il ne s’agit pas de compatir : Kerviel, assoiffé de pognon, se meut dans un monde virtuel où l’on jongle avec des milliards sans jamais se poser la question de la vie réelle, celles des gens qui vivent de leur travail et s’endettent pour payer leurs maisons. Ce mercenaire ne mérite pas d’excuse. Mais il n’est qu’un infime rouage, une minuscule pièce du Grand Jeu. Ce n’est pas Monsieur Kerviel qui est fou, c’est le système.
Faut-il y revenir? Le système financier s’est incroyablement autonomisé par rapport à l’économie réelle. Et l’émergence du « pouvoir actionnarial » en est une des conséquences. Ce n’est plus le capitaine d’industrie, secondés par ses cadres et ses employés, qui détermine la politique de l’entreprise, mais l’actionnaire. Pour acclimater les managers à ce changement, leur rémunération a été modifiée pour varier aussi en fonction des performances boursières de l’entreprise. La conséquence de cette mutation : les managers ont été conduits à prendre des risques grandissants pour faire monter le cours de bourse de leur entreprise, allant jusqu’à truquer ses comptes (scandale Enron),ou à dissimuler des informations cruciales pour revendre leurs stock-options ou leurs actions au cours le plus favorable.
La société générale, c’est un exemple parmi d’autres : pour dégager le plus de profits possible, Bouton et ses amis ont lancé leur traders sur les marchés dérivés, emblématiques de la spéculation pure : les risques sont importants mais les bénéfices escomptés sont tellement énormes! Jusque-là, cela leur avait plutôt réussi. Aujourd’hui, ça leur pète à la figure. Les subprimes, la fraude. On aurait presque envie d’en rire si il n’y avait pas des salariés, des clients, des petits actionnaires qui vont payer pour les acrobaties d’une poignée d’irresponsables plein aux as.