Il a celles et ceux qui vont gagner. Celles et ceux qui peuvent gagner. Et les autres. C’est vers eux que vont nos pensées. Aux militant(e)s de l’ombre, éternels défaits du suffrage universel, voués aux circonscriptions imprenables et aux fiefs inexpugnables.
A celles et ceux qui portent haut les couleurs du socialisme sans rien attendre en retour. Car l’adage selon lequel il n’y a aucun résultat acquis d’avance n’est que partiellement vrai. La carte électorale est ainsi faite que, même en cas d’immense déculottée, la droite conservera toujours un bon paquet de sièges. Pourquoi ? Parce qu’il y a maintenant 20 ans, un ministre de l’intérieur a découpé l’hexagone pour qu’il en soit ainsi.
L’injustice structurelle du scrutin majoritaire (qu’on ne règlera pas en instaurant une mini « dose » de proportionnelle) est aggravée par ce honteux bidouillage pasquaien. On m’objectera qu’il s’agit là d’arguments techniques. Tout faux. L’ancien ministre de l’intérieur et ses charcuteurs ont procédé avec méthode et minutie, répondant à un cahier des charges bien précis : assurer à la droite, quelle que soit la météo politique, une place importante dans l’hémicycle. On me rétorquera qu’il y a aussi des fiefs de gauche. Des circonscriptions en béton armé pour les socialistes. En effet. On en compte une cinquantaine. Environ quatre fois moins que pour la droite. Pasqua est un malin. En assurant aux ténors du PS des places fortes, il s’est assuré de leur silence, ou en tout cas de leur modération. Lorsque les socialistes sont revenus au pouvoir en 1997, par « éthique » mais aussi par calcul (on allait gagner 2002), ils ne sont pas revenus sur un redécoupage que le Conseil constitutionnel s’échine à qualifier d’injuste depuis des lustres. Car outre le caractère incroyablement partial de la carte électorale, il y a l’absurdité démographique. La 2ème circonscription du Val d’Oise compte 194 000 habitants. La 1ère circonscription de Lozère est peuplée d’environ 40 000 habitants !
Le découpage électoral actuel se fonde sur un recensement de la population de 1982. Depuis, la population n’a pas évolué de façon uniforme depuis 25 ans, loin s’en faut. Dans ses observations du 7 juillet 2005 sur les échéances électorales de 2007, le conseil constitutionnel observe, à propos des élections législatives de 2002, « que la recherche de l’égalité rendait ce remodelage nécessaire(…)Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution. Ces disparités ne peuvent que s’accroître avec le temps. Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage. Si cela n’est pas fait avant les prochaines élections législatives, ce qui serait regrettable, cela devra être entrepris au lendemain de celles-ci ».
Evidemment, la droite s’est bien gardée de faire quoi que ce soit. Et comme dans ce domaine les juges constitutionnels peuvent simplement inviter le gouvernement à agir, il est possible qu’on attende longtemps. De peur de paraître « politiciens », la majorité des responsables publics se taisent. On peut comprendre les raisons de certains : un redécoupage à la sauce Sarkozy, ça peut être pire que Pasqua ! C’est vrai. Mais rien n‘empêche de plaider pour la mise en place d’un comité technique (recueillant l’assentiment des représentants de toutes les tendances politiques) pour mettre fin à cette situation indigne. Ce sujet n’a rien d’anecdotique. Les modalités du choix des représentants du peuple sont essentielles dans une démocratie.
Post-scriptum : Il ne s’agit évidemment pas d’en rester là. La vraie révolution, c’est la rupture avec le mode de scrutin majoritaire qui, au nom de la « stabilité » et de l’ « efficacité », rompt avec le principe de représentation des courants politiques de la société française. Conscients de cette injustice flagrante (on peut n’avoir aucun député tout en recueillant plusieurs millions de voix), certains audacieux avancent l’idée d’une dose de proportionnelle à hauteur de 10% ! Joli gadget.