Sarkozy, c’est Bush. La comparaison est usée jusqu’à la corde, et, pour tout dire, un peu exagérée. Pourtant, il y a bien un point commun entre le texan et le candidat de l’UMP : la certitude d’être engagé dans un combat contre le Mal.
Sarkozy, même s’il s’en défend, donne dans le manichéisme le plus élémentaire. Après les incidents de gare du Nord, l’ex ministre de l’intérieur avait accusé ses adversaires d’être du côté des voleurs et des fraudeurs, quand lui se donne pour mission de rassembler les « honnêtes gens ». Depuis des mois, il martèle qu’il est le candidat des « Français qui se lèvent tôt », sous entendant que la gauche soutenait les assistés qui font la grasse matinée. Bosseurs contre fainéants, casseurs contre bons citoyens, autorité contre anarchie : le monde selon Sarko est simple et binaire.
Depuis quelques jours, le candidat de l’UMP semble avoir découvert la vraie cause de l’existence du Mal. Une sorte de révélation idéologique. Quel est donc cet hydre aux mille tentacules, ce monstre malfaisant responsable du déclin ? C’est mai 68 ! Mais 68, c’est « le poumon » dans la célèbre tirade du malade imaginaire. La crise de l’école : mai 68 ! Le culte de l’argent roi ? Mais 68 ! La perte des repères? Mais 68 vous dis-je !
Et voilà comment un événement somme toute modeste, comparé aux grandes fractures du XXème siècle, se retrouve propulsé « cause de toutes les causes » ! Il y a quelque chose de grotesque dans cette réécriture de l’histoire nationale. Mais surtout, la nouvelle croisade de Sarkozy en dit long sur ses objectifs politiques.
Car mai 68, c’est avant tout la réaction désordonnée des forces vives du pays contre un système à bout de souffle : une classe politique complètement déphasée, des medias à la botte du pouvoir, un ordre moral étouffant, une société cadenassée, une jeunesse désemparée. Pendants moins de deux mois, une partie des Français, écrasés sous la chape de plomb du gaullisme croupissant, a revendiqué plus de liberté et d’égalité.
Cela n’enlève rien à la pertinence du débat intellectuel sur l’héritage controversé de « la pensée 68 », ou de la critique de l’itinéraire peu glorieux des soixante-huitards en vue (ah, ces maoïstes devenus publicitaires, journalistes zélateurs du libéralisme ou eurodéputés centristes). Reste l’essentiel : 68, c’est avant tout les conquêtes sociales (accords de Grenelle), la démocratisation de l’enseignement supérieur, la libération sexuelle, etc… Vouloir « liquider » 68, c’est, au sens propre, revenir en arrière.