Séjour en Bulgarie pour la fondation Jean Jaurès. Au sortir de Sofia, logements collectifs miteux, usines chimiques, rivières polluées. La campagne est pauvre. Et comme dans la plupart des pays de l’Est, l’américanisation est en marche. Dans les bars et les restaurants
la télé est allumée constamment et crache des clips de rap et de RN’B.
Le séminaire se tient près de Veliko Tarnovo, à 300 km de la capitale, dans un village désolé, quasi fantôme. De 1200 habitants, la population est passée à 60. De nombreuses maisons, inoccupées, tombent en ruine. Mes hôtes du PSB (parti socialiste Bulgare) sont charmants. Je dîne avec le vice-président du Parti, un homme avenant et cultivé. Il sirote tranquillement un rakya dont j’ai du mal à avaler une goutte. Vers 23heures, les organisateurs éteignent enfin la télé et passent du rock russe. Je préfère nettement.
Ma conférence est intitulée « régimes et systèmes politiques, idéologies » : deux heures n’y suffisent pas. Les participants sont jeunes pour la plupart. Leurs questions portent essentiellement sur l’Union européenne et l’avenir de la social-démocratie. Dans un pays qui honnit le « socialisme » (puisque c’est ainsi que l’ancien régime s’autoproclamait), j’essaie d’expliquer que la gauche n’est pas vouée à la troisième voie blairiste. Que les services publics sont utiles. Que le marché laissé à lui-même engendre les pires catastrophes. Que la redistribution des richesses est au cœur de notre projet de société. Mes camarades bulgares ne sont pas tous convaincus, loin s’en faut.
A quelques semaines des élections européennes (qui se tiendront courant mai), le PSB s’interroge sur son identité. Il dirige une coalition qui rassemble la gauche, la droite (le parti du roi Siméon II) et le parti de la minorité turque. La vie politique bulgare est encore très instable. Les organisations se créent et disparaissent au gré des élections. Un nouveau parti de droite, dirigé par le très populaire maire de Sofia (ancien garde du corps de Jivkov, le dernier dirigeant de l’ère communiste), risque de créer la surprise. Les extrémistes d’Ataka (dont le leader était présent au second tour des présidentielles) réalisent de bons scores. La gauche est uniquement représentée par le PSB qui ne parvient pas à obtenir seul des majorités électorales.
A la confusion politique s’ajoute des problèmes structurels. Le sort des minorités turques et roms pèse sur le débat public. Les perspectives démographiques également : près d’un million de bulgares ont quitté leur terre natale. Les paysans affluent massivement vers les grandes villes. Le taux de fécondité est dramatiquement faible. Le revenu mensuel moyen par habitant ne dépasse pas 200 euros.
Avant de repartir, courte ballade dans Sofia. Grandes avenues, grands bâtiments : la présidence, l’ancien palais royal. A l’entrée du ministère de l’éducation nationale, pas loin de l’ancien immeuble du Parti Communiste, deux panneaux d’interdiction ont été affichés. La cigarette est bannie, qui s’en étonnera ? Plus insolite, il est également déconseillé…de porter un revolver !
Près de la cathédrale Alexandre Nevski, un marché aux puces. On y vend des insignes soviétiques (les occidentaux en raffolent), des insignes nazis, des poupées russes, des icônes et des bijoux de pacotille.
Ce dimanche, c’est jour de fête : les sublimes églises orthodoxes ne désemplissent pas. Chaque fidèle porte des feuilles de saule entrelacées et des bouquets de jonquilles. Des popes barbus officient dans une atmosphère saturée d’encens. Des milliers de cierges sont allumés.
Mon guide attire mon attention sur un petit parc un peu reculé. Un buste de Pouchkine. Un peu plus loin, près des terrasses d’un café étudiant, une statue renversée. On s’approche. Face contre terre, Lénine gît.