Il a quelques mois, nous avons salué la parution d’un roman magnifique, les vivants et les morts, de Gérard Mordillat. Dans cette fresque mémorable, l’auteur relatait une histoire aussi banale que tragique : la disparition d’une usine et les conséquences
sociales désastreuses de cette décision. Territoires condamnés et vies brisées au nom du profit d’anonymes actionnaires : les journaux télé s’y intéressent parfois mais l’émotion retombe vite. Mordillat décidait, lui, d’y consacrer 600 pages.
Comment ne pas y penser aujourd’hui après l’annonce des « plans sociaux » chez Alcatel-Lucent et Airbus ? Certes, les deux cas ne sont pas similaires. Alcatel, qui se targuait de réfléchir au concept d’ « entreprise sans usine », est familier des dégraissages économiquement injustifiés. Alors même que les actionnaires se voient verser des dividendes importants, 1500 salariés sont mis à la porte. Deux sites bretons ont été liquidés.
La situation d’Airbus est différente : la première cause des difficultés de l’entreprise, c’est le maintien absurde de la parité euro-dollar. Mais le géant franco-allemand est aussi victime d’erreurs financières et industrielles : recours systématique à l’externalisation et à la sous-traitance, délocalisations, bisbilles entre dirigeants.
Le résultat est cependant le même : des milliers de salariés sur le carreau, des centaines de PME menacées, des territoires entiers décimés. Dans une campagne présidentielle aseptisée, où les shows télé dégoulinants remplacent les débats politiques, la réalité sociale fait irruption sans prévenir. Cette violence du système appelle des réponses fortes : les salariés kleenex ne se satisferont pas de belles paroles.
Il revient à la gauche de démasquer les faux culs : Messieurs Sarkozy et Bayrou peuvent bien pleurer en chœur, ce sont eux qui ont supprimé les dispositions (insuffisamment) protectrices pour les salariés contenues dans la loi de modernisation sociale votée sous Jospin. Face à l’UMP qui théorise l’impuissance de l’Etat et la suprématie des actionnaires privés, les socialistes prennent clairement position pour un renforcement de la présence des Etats dans le capital d’EADS. C’est un bon début, même si il faudra s’assurer que les fanatiques de la commission européenne ne s’opposeront pas à la recapitalisation pour entorse à la libre concurrence. Emploi, industrie, Europe : tout se tient !