La canonisation médiatico-politique de l’abbé Pierre était prévisible. C’est la loi du genre : incroyablement populaire de son vivant, il l’est davantage encore une fois mort. Funérailles nationales, déluge d’éloges, éditions spéciales : le prêtre rebelle rejoint le camp très select des panthéonisables ».
Evidemment, la décence impose à tous de reconnaître que le combat de le l’abbé Pierre reste d’une actualité criante. La misère perdure et le « mal logement » touche de nombreux compatriotes. On devine d’avance ce que seront les promesses des candidats à la présidentielle : en finir avec le scandale que le prêtre n’a cessé de dénoncer depuis des décennies. « Continuer le combat » : gageons qu’ils en feront tous le serment.
Il faudra pour cela bien plus que des déclarations émues. La paupérisation du salariat et les difficultés d’accès au logement constituent la réalité sociale d’un pays qui pourtant n’en finit pas de s’enrichir. Pour enrayer ce phénomène, « l’insurrection de la bonté » ne suffit pas. Le défunt abbé lui-même savait que la charité ne remplace pas la politique, et que c’est aussi à la loi d’organiser la solidarité. Ce n’est pas un hasard si l’un de ses derniers combats concernait la loi SRU et son article 55 obligeant les communes à construire au moins 20 % de logement social.
Pour éviter de sombrer dans le consensus émollient, il faut rappeler ces évidences. La colère et l’indignation, qui animaient justement l’abbé Pierre, ne valent pas grand chose si elles n’inspirent pas des mesures concrètes et radicales. La lutte contre la spéculation immobilière, l’augmentation du pouvoir d’achat et l’éradication du logement précaire constituent des priorités absolues. Plutôt que des éloges convenus, les Français attendent des actes.