A moins de cent jours des élections présidentielles, le Parlement travaille…plus que jamais ! C’est le paradoxe de cette fin de règne. Alors que la plupart des esprits sont déjà dans la France d’après Chirac, les députés et les sénateurs sont appelés à débattre et à voter à toute vitesse.
La liste des projets de loi examinés in extremis est impressionnante. Certains auraient mérité mieux qu’une discussion expresse en fin de journée. Cette précipitation en dit long sur la conception du rôle du législateur sous la Vème République.
Il est également révélateur d’une certaine façon de diriger le pays : le chiraquisme appliqué, c’est un mode de gouvernement purement réactif (il faut attendre un mouvement d’opinion pour voir émerger une réponse législative : voir le droit au logement opposable), un agenda calé sur le temps médiatique, une politique au fil de l’eau sans réelle cohérence.
Mais il faut aussi laisser une trace dans l’histoire nationale. Chirac, conscient de la maigreur de son bilan, tient au moins à figurer dans les manuels de droit. D’où la énième modification de la Constitution (la 16ème en douze ans ! De Gaulle l’a modifié deux fois, Mitterrand quatre), portant à la fois sur le statut pénal du chef de l’Etat, le corps électoral en Nouvelle Calédonie et l’abolition de la peine de mort.
Evidemment, c’est le premier volet de cette révision qui est dans la lumière. Inspiré des conclusions du rapport Avril, les parlementaires s’apprêtent à voter un texte qui peut changer la nature de nos institutions. En effet, si le président de la République continue de bénéficier de l’immunité pendant l’exercice de ses fonctions, il pourra désormais être destitué par le Parlement (à la majorité des deux tiers) en cas de « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ».
A première vue, la réforme va dans le bon sens. Mais le diable est dans les détails. Si la destitution d’un chef d’Etat conservateur devient quasi impossible, il n’en est pas de même pour un responsable de gauche. Compte tenu de la nature du Sénat, structurellement réactionnaire compte tenu de son mode d’élection archaïque, il est tout à fait envisageable de réunir une majorité de deux tiers de parlementaires de droite : ceux-ci pourraient être tentés, en période de cohabitation, d’engager une procédure de destitution à l’encontre d’un président de gauche, et cela en raison de simples divergences politiques (qu’est-ce qu’un « manquement aux devoirs » ?).
Rober Badinter a raison de dire qu’en cas de vote sur la destitution d’un président, « la droite et la gauche disposeront théoriquement des mêmes armes, mais celles de la droite tireront à balles réelles et celles de la gauche à blanc ». Le premier ministre de la Justice de François Mitterrand n’a pas été écouté par ses pairs. En attendant une vraie réforme institutionnelle, la prudence était de mise. Espérons que la gauche n’aura pas à le regretter.