L’Histoire est riche de destins brisés, de vies prometteuses prématurément fauchées. En 2005, on commémore le centenaire de la naissance de Paul Nizan, mort au front en 1940. Si le jeune et brillant écrivain n’est pas méconnu, son œuvre n’a pas encore le succès qu’elle mérite.
Certes, ses principaux livres sont disponibles en poche.
Mais il est temps qu’on remette Nizan à la place qui est la sienne : tout en haut, aux côtés de Sartre ou d’Aragon. La réédition de la biographie de Pascal Ory (Nizan, le destin d’un révolté), la publication de ses nombreux articles littéraires et politiques (tome 1), devrait y contribuer.
Oui, il est urgent de redécouvrir la personnalité et l’œuvre de ce révolté dont le style sec et percutant fait mentir « le lieu commun paresseux selon lequel l’écriture incisive, à la fois légère et cruelle, serait l’apanage des écrivains de droite » (Pascal Ory, p.170).
Révolté, Nizan n’a jamais cessé de l’être. A Normale Sup, où il est inséparable de Sartre (on les appelait « Nitre et Sarzan ») et condisciple de Raymond Aron, il enrage contre le conformisme et la bien-pensance (les Chiens de garde témoigneront de cette hargne inextinguible). Professeur de philosophie, il fuit la petite bourgeoisie de province qu’il assassinera dans sa trilogie romanesque
Entre temps, Nizan part au bout du monde, à Aden, histoire de quitter l’Occident. Il en reviendra métamorphosé, bouleversé par les conséquences de l’exploitation colonialiste, furieusement anticapitaliste. De cette expérience fondatrice naîtra Aden Arabie, véritable brûlot, livre incendiaire et incandescent dont on connaît les célèbres premières phrases : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». « Littérature enragée plutôt qu’engagée », écrit son biographe avec justesse.
« On ne peut vivre qu’au sein d’un mouvement qui accuse le monde- l’acceptation égale la mort. » Fort de cette conviction, Nizan vient au communisme comme un croyant à Dieu. Après bien des hésitations (il flirte avec le faisceau de Valois), il se jette à corps perdu dans cette « Eglise » qui exige soumission et obéissance de la part de ses fidèles. Nizan met ses doutes au placard, devient un stalinien sourcilleux, organise des colloques d’écrivains en URSS, écrit et anime les quotidiens et revues proches du PC.
Sa vie bascule après la signature du pacte germano-soviétique et l’invasion de la Pologne. Nizan rompt avec le parti, qui ne lui pardonnera jamais. Tué à la frontière belge, dès le début de l’offensive allemande de mai 40, il ne bénéficiera pas de l’indulgence post mortem de ses anciens camarades. Une incroyable cabale, dans laquelle Aragon s’est scandaleusement commis, le fera passer, après-guerre, pour un traître et un informateur de la police. Sa femme, Henriette, et quelques amis, mettront en pièce ces accusations ridicules. Mais, dans la France d’après 1945, l’hégémonie intellectuelle du parti communiste est incontestée. L’œuvre de Nizan est progressivement occultée. Ce n’est qu’en 1968 qu’on commence à l’exhumer : n’incarne-t-il pas à merveille cette figure de la jeunesse insolente et rebelle qui fait battre le cœur de la France en ce mois de mai ?
Là encore, Ory trouve les mots justes : « Appelons-le, faute de mieux, le révolté. Non pas le révolutionnaire, si l’on admet que le révolté remet toujours en question le sens de la révolte, quand le révolutionnaire se métamorphose en homme d’ordre sitôt que les lendemains se mettent à chanter »
Pamphlétaire flamboyant, romancier politique, philosophe à l’occasion, journaliste infatigable, Nizan est un étonnant touche-à-tout. Puissions-nous, cent ans après sa naissance, redonner à son ouvre ce qu’il perdit si vite : la vie.
Nizan, destin d’un révolté. Pascal Ory, Editions Complexe, 19, 90 euros
Articles littéraires et politiques, tome 1, Editions Joseph K, 30 euros.
Les romans Paul Nizan sont en édition de Poche.