On a beau dire, Tom Wolfe, c’est du costaud. De la bonne vieille littérature américaine, qui ne manque ni d’imagination, ni de souffle. Ceux qui connaissent « le bûcher des vanités » ou « un homme, un vrai », savent qu’on est vite embarqué, que l’auteur nous offre une sacrée histoire servie par un style puissant (les deux à la fois, c’est possible quoique rare !).
Avec « Moi, Charlotte Simmons », le lecteur ne sera pas déçu. Wolfe, amoureux du XIXème siècle français, a voulu écrire les « Illusions perdues » version 21ème siècle. Un roman d’apprentissage donc, mais en légèrement plus trash que le modèle balzacien.
Charlotte Simmons, une jeune provinciale très douée, est envoyée dans la très select « Dupont University » en Pennsylvanie. Gauche et naïve, la jeune oie blanche s’imagine qu’elle va enfin accéder à la « vie de l’esprit » : amour des sciences et des humanités, longues heures d’études en bibliothèques, discussions enflammées entre futurs dirigeants du monde !
Elle va vite déchanter, notre géniale héroïne ! Le campus de Dupont, dans le roman de Wolfe, c’est Sodome et Gomorrhe ! L’élite du pays se vautre dans la luxure et la débauche : interminables beuveries et coucheries sur fond de rap, de parties de Playstation et de matchs de basket ball. Les filles passent leurs vies à parler fringues et mecs, les mecs à parler filles, sport et biture : bref, des myriades de post ados en rut, adeptes du « patois fuck » et de la défonce. Dans cet univers particulier, Charlotte doit se faire une place. Commence ainsi une série d’épreuves initiatiques qui vont contribuer à forger son caractère.
Autant le dire tout de suite : Wolfe n’y va pas avec le dos de la cuillère. Fruit de plusieurs années d’observation, sa description de l’université américaine est apocalyptique. Il n’y a, à le lire, pas grand-chose à sauver de ce cloaque : ni les basketteurs quasi débiles adulés et surprotégés par l’administration, ni les confréries de fils de bourgeois, véritables usines à fabriquer des alcooliques lubriques, ni le corps enseignant, gangrené par le politiquement correct. Le tableau est féroce, terrifiant, parfois hilarant.
A partir de là, certains progressistes new yorkais ont considéré que Wolfe était… réac ! Ce n’est pas forcément faux, mais cela ne discrédite en rien son œuvre romanesque ! Les contempteurs de l’auteur de « Moi, Charlotte Simmons » n’ont pas vu qu’au-delà de la dénonciation (jouissive) des mœurs US contemporaines, Wolfe fait preuve d’une subtilité psychologique étonnante. Il restitue à la perfection les flux de conscience des « adulescents », hantés par l’angoisse de l’humiliation et, pour la plupart, assoiffés d’amour et de reconnaissance.
Laissez vous emporter par « Moi, Charlotte Simmons » : c’est un livre, un vrai !