Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage, par Aimé Césaire
Au moment où certains s’autoproclament « indigènes de la République », il est bon de se replonger dans la lecture de textes essentiels qui rappellent, avec force et vigueur, ce que fut l’horreur de la barbarie esclavagiste et qui salue comme il se doit l’honneur des combattants abolitionnistes.
Le Capucin, petite maison d’édition fondée en 1998 et basée Midi Pyrénées, a eu la bonne idée de rééditer, l’année dernière, quatre textes d’Aimé Césaire consacrés à Victor Schœlcher, une des figures françaises les plus attachantes du XIXème siècle.
François Mitterrand, lors de la cérémonie d’investiture du 21 mai 1981, déposait une rose sur la tombe de Schœlcher, rendant ainsi hommage à un héros national encore trop méconnu.
La vie de Schœlcher est un roman, et on ne saurait trop recommander à nos lecteurs de se procurer une biographie. Historien, écrivain, homme politique, musicologue, grand voyageur, ce touche à tout de génie restera dans l’histoire pour son inlassable combat pour les libertés : engagé contre la peine de mort, pour l’émancipation des femmes, il est celui qui imposa au gouvernement provisoire de 1848 la rédaction du décret du 27 avril abolissant l’esclavage dans les colonies françaises.
Exilé sous le second empire, il refuse l’amnistie de Napoléon III et ne revient à paris qu’en 1871. Ses cendres sont transférées au Panthéon en 1949.
Aimé Césaire, immense poète et homme politique martiniquais, chantre de la négritude, a écrit des textes enflammés en hommage à celui qu’il considère comme le libérateur des noirs.
« Qui était ce Victor Schœlcher ? Un de ces grands honnêtes hommes que l’on rencontre de loin en loin dans les allées de l’histoire. Un homme à principes, assurément ; d’aucuns diront à marottes. Un logicien à coup sûr. Un émotif, à n’en pas douter, qui ne pardonnera jamais à l’esclavage de s’être jeté au travers de sa route, quelque part du côté de la Nouvelle Orléans ou de la Havane ; un homme de culture, de probité scrupuleuse, de courage tranquille, qui eut une sorte de génie ; celui de la conscience morale ».
Césaire raconte la prise de conscience rapide de Schœlcher, sa révolte contre l’ignoble exploitation dont sont victimes ses frères humains, son intransigeance face aux lâches, aux cyniques et aux tièdes qui souhaitent retarder le moment de l’abolition : « Quand cet homme immense se levait parmi un Sénat de petits prudents, quand il dressait sa haute stature dans une assemblée de compteurs de gros sous et de bourgeois orléanistes ou décembriseurs, c’était ma foi de l’insolite, c’était dressé , les mains ouvertes et humiliant un cropeton de vieillards, le spectre de l’aventure et de la munificence ».
Schœlcher se bat comme un beau diable, refuse de temporiser, passe finalement en force en imposant l’abolition par décret quand d’autres préfèreraient une loi (alors que la chute de la IIème République est proche).
La date est majeure : « le 27 avril 1848, un peuple qui depuis des siècles piétinait sur les degrés de l’ombre, un peuple que depuis des siècles le fouet maintenait dans les fosses de l’histoire, un peuple torturé depuis des siècles, un peuple humilié depuis des siècles, un peuple à qui on avait volé son pays, ses dieux, sa culture, un peuple à qui ses bourreaux tentaient de ravir jusqu’au nom d’homme, ce peuple là, par la grâce de Victor Schœlcher et la volonté du peuple français, rompait ses chaînes et au prometteur soleil d’un printemps inouï, faisait irruption sur la grande scène du monde ».
Le style flamboyant de Césaire nous transporte. Et pour ceux qui pensent qu’il s’agit là de vieilleries, le poète rappelle : « Victor Schœlcher est un homme actuel dans toute la force du terme. Aucune des qualités que requiert la gravité du moment ne manque à Victor Schœlcher. Contre la timidité dans les projets, il y a un antidote : l’esprit de Schœlcher. Contre la propension à la tyrannie, il y a un antidote : l’esprit de Schœlcher. Contre le préjugé et l’injustice, il y a un antidote : l’esprit de Schœlcher »
Aux grands hommes la patrie reconnaissante.
Victor Schœlcher et l’abolition de l’esclavage, par Aimé Césaire,
Editions le Capucin, distribution les belles lettres, 20 euros.