Laurent Baumel n’est pas un garçon dans le vent. Son livre ne concède pas grand-chose à l’air du temps et c’est en cela qu’il est précieux.
Alors que nous assistons à une indéniable dégradation du débat public réduit désormais à l’affrontement pitoyable entre concepts creux et slogans chocs, Laurent Baumel entreprend de s’interroger sur l’actualité et la pertinence de l’idée de réformisme dans la pensée socialiste. Moins sexy qu’un ouvrage collectif composé par des milliers d’internautes experts, son livre est néanmoins utile et stimulant.
Le titre modeste du livre, clin d’œil à un ouvrage phare de Barthes, ne saurait faire oublier l’ambition de l’auteur. Il s’agit bien de retracer l’historique de la notion de réformisme au sein de la gauche française (et de son inévitable confrontation avec la composante révolutionnaire) mais aussi d’étudier les grands enjeux contemporains (et les réponses possibles à ceux-ci) d’un point de vue « réformiste ».
En ce sens, l’essai s’inscrit dans une tradition de la gauche européenne, visant à relativiser une partie de l’héritage marxiste, voire à tourner le dos à une doctrine et à une grille de lecture jugées inadaptées au monde moderne. Baumel reprend à son compte les critiques connues sur la timidité de la conversation social-démocrate des socialistes français et en appelle à un aggiornamento définitif, conforme à la réalité de la pratique du pouvoir du PS. Une refondation théorique qui verrait enfin le socialisme français renoncer à l’espérance révolutionnaire et à la rhétorique ambiguë que ses leaders affectionnent.
Comme il s’agit de ne pas démoraliser les troupes, Baumel tente d’expliquer que la raison social-démocrate ne fera rien de grand sans passion. D’où ce souci de donner un contenu à un « réformisme radical » susceptible, selon lui, de mobiliser les énergies militantes et les électeurs. D’où un grand nombre de propositions programmatiques qui peuvent être utilement soumises au débat du PS sur le projet.
Très informée, très pointue, cette contribution au renouveau doctrinal de la gauche est évidemment sujette à discussion. Il est par exemple un peu facile d’imputer les échecs récents des socialistes français à la persistance d’un socialisme « du refus », « protestataire » et « corporatiste ». Une gauche accusée de surfer sur les peurs et de se contenter de « résister ». On connaît par cœur cette rengaine qui nous a été une nouvelle fois resservie jusqu’à plus soif à l’occasion du débat référendaire de 2005. Et l’on pardonnera à l’auteur de ses lignes, qui se reconnaît volontiers dans cette famille marxisante du socialisme français que Baumel rêve de voir disparaître, de ne pas avoir goûté cette concession à la pensée dominante.
Au-delà de cette partialité, il faut reconnaître que Laurent Baumel, sérieux et rigoureux, invite tous les socialistes à s’interroger sur leurs idéaux et leurs objectifs plus immédiats, à l’aune des changements d’aujourd’hui. Evidemment, nul n’est obligé d’être convaincu par l’idée selon laquelle le socialisme doit désormais se résumer à la tentative de ménager à l’infini la chèvre capitaliste et le chou progressiste. Vouloir transformer le capitalisme (car il est injuste) sans l’abolir (car il est efficace), est-ce vraiment notre horizon indépassable ? De même, nul n’est forcé de se résigner à ce que le choix stratégique pro-européen du PS implique « non seulement d’accepter le capitalisme, mais d’accepter aussi le principe d’un compromis avec des visions moins exigeantes de ce compromis ».La lucidité ne mène pas nécessairement au fatalisme ou au renoncement.
Reste l’essentiel : le livre de Baumel fourmille de notations pertinentes et propose des pistes pour une gauche qui se refuse depuis trop longtemps à la réflexion théorique. En réaffirmant l’importance du débat doctrinal au moment où nous traversons une inquiétante phase de dépolitisation, ces « fragments d’un discours réformiste » arrivent à point nommé.
Laurent BAUMEL
Fragments d’un discours réformiste
Editions de l’Aube, 16 euros.