La politique française à l’épreuve du globish !

emmanuel-maurel-opinion-figures-libresLaïque et républicaine, la France n’en connaît pas moins, de temps à autre, des moments de résurgence sacrée et monarchique. Quand on dit qu’un président de la République connaît un « état de grâce », il faut le prendre au pied, religieux, de la lettre : les commentateurs (et parfois aussi, le peuple, mais dans les limites du raisonnable) prêtent au nouveau souverain des vertus surhumaines. Revoilà venu le temps du roi thaumaturge, guérisseur des écrouelles et représentant de Dieu sur terre. On plaisante, mais on caricature à peine.

C’en est presque touchant de voir une certaine presse à ce point enamourée. Nous savons que cela ne durera pas, que les Français n’ont pas leur pareil pour brûler ce qu’ils ont adoré, mais nous n’avions pas vu cela depuis Nicolas Sarkozy : la ferveur émue des débuts, le retour en grâce de la vieille tradition du dithyrambe, qui culmine avec la Une (numérique) d’un hebdomadaire réputé sérieux sur « Macron, leader du monde libre ».

Il y a d’ailleurs belle matière à réflexion : François Hollande, hyper respectueux des médias et proche des journalistes (trop disent certains), a été moins bien traité, dès l’ouverture de son quinquennat, que son prédécesseur de droite qui la malmenait, et que son successeur libéral bonapartiste qui la tiendra, soyons-en sûrs, à distance respectable.

Mais les temps ont changé : hier, on tressait des lauriers à « Sarko l’américain », ray ban et tee-shirt NYPD. Aujourd’hui, on encense Macron pour avoir résisté à la poignée de main virile de Donald Trump et surtout pour avoir tancé vertement, dans la langue de Dos Passos, le président américain après son retrait des accords de Paris.

Touriste saoul. Il fait dire que Donald Trump, qui se comporte, comme l’a dit justement un diplomate américain, comme un « touriste saoul », s’est engagé dans un pari risqué : pour se faire aimer des siens, se faire détester par tous les autres. Et le tout sur le dos de la planète. Et les indécrottables optimistes de conclure à l’avènement d’un « monde post-américain », d’une Europe autonome et, pour une fois, à l’initiative : il n’est pas interdit d’y croire.

Le paradoxe, c’est que l’Amérique de laquelle on veut se distinguer s’isole… au moment où elle n’a jamais été aussi hégémonique. « Nous sommes tous devenus américains », clame Régis Debray dans son dernier essai, Civilisation, et son argumentation ne manque pas de force.

Voilà d’ailleurs un livre dont on ne parle pas assez, joyeusement hétérodoxe, alerte, drôle et, comme toujours, pénétrant, qui se donne pour objectif de révéler cette « invariable grammaire des transferts d’hégémonie ». Si certaines civilisations, anciennes et impénétrables, résistent, ce n’est pas le cas de la nôtre. L’imprégnation de nos cultures nationales par la civilisation américaine est à ce point spectaculaire qu’une chronique ne suffirait pas à en énumérer les traces.

Impossible de ne pas constater l’emprise de l’empire. Plus que l’alliance militaire ou la relative dépendance monétaire, c’est surtout la domination culturelle, l’alignement des modes de vie, l’invasion lexicale, le mimétisme vestimentaire et comportemental qui frappent les esprits.

La vie politique n’échappe pas non plus totalement au copier/coller. Que notre nouveau Président rêve tout haut, à Las Vegas, de faire de l’Hexagone une « smart nation », passe encore. Que la « start-up », aux contours mal définis, devienne le nec plus ultra de la modernité économique, le modèle indépassable, l’aspiration universelle, c’est peut-être un effet de mode.

Rituel des émissions d’infotainment. Mais le recours aux primaires pour départager des candidats d’une même famille politique, l’apparition des dîners de « lever de fonds », la confirmation du rôle médiatico-politique de la « first lady », les débats présidentiels comme un vulgaire speed dating (« Comment faire advenir la paix dans le monde ? Vous avez 1’30 »), debout derrière un pupitre en Plexiglas, l’obligation pour un candidat de sacrifier au rituel des émissions d’infotainment, sans oublier l’exhibition souhaitable du bonheur conjugal, tout cela plaide quand même pour une irrépressible tendance à l’adoption des codes Yankee. Même les chiffres de la participation aux législatives claquent comme un navrant hommage à la traditionnelle abstention américaine.

Du modèle américain, nous avons beaucoup emprunté, et nous prendrons tout (subsisteront quand même quelques survivances folkloriques, le camembert, le cinéma qualité France et, espérerons-le, la sécurité sociale), sauf ce qui fait la force du système politique hérité des Founding Fathers : l’équilibre des pouvoirs qu’implique la force du Parlement. C’est un savoureux paradoxe : nos voisins d’outre-Atlantique sont moins sujets au crétinisme présidentiel que nous. Les congressmen sont des élus puissants, bardés de collaborateurs, autonomes, ne s’en laissant pas conter par le chef de l’État, même si celui-ci est de leur camp.

Ce n’est pas le chemin que prend la France à l’issue de ce premier tour des législatives, triste queue de comète de la présidentielle. Il serait prématuré de qualifier la joyeuse horde de marcheurs de « godillots » (bonnes chaussures au demeurant) : l’expression est si « old fashioned », diraient ceux qui se vantent d’être rompus à la pratique du globish. Mais l’inexpérience et la provenance socioprofessionnelle, très homogène, des futurs députés macronistes est quand même censée prémunir contre toute indiscipline intempestive.

Volonté de favoriser l’émergence d’un parti central concurrencé par les seules droites radicalisée et gauche de protestation, retour à une « verticale du pouvoir » clairement identifiable, défiance relative aux corps intermédiaires, opposition croupion au Parlement : si l’on était un chouïa provocateur, on dirait que le système est, de ce point de vue, plus russe qu’américain. Heureusement pour nous, le Président est un démocrate et nos compatriotes d’irréductibles frondeurs.

 

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