«Quand François Hollande fait la leçon». La critique d’Emmanuel Maurel

« En dépit du cours calamiteux de son quinquennat, François Hollande tient son œuvre présidentielle en haute estime. Partant de là, et en vertu du vieux principe selon lequel “on n’est jamais mieux servi que par soi-même”, il se livre à un plaidoyer pro domo qui laisse peu de place aux regrets et à l’autocritique »

Souvent, trop souvent, les livres politiques n’intéressent que les « professionnels de la profession » : les élus, les militants, les commentateurs. Celui-ci intéressera davantage que la production moyenne. Et pour cause : ce n’est pas tous les jours qu’un ancien président de la République prend la plume. C’est donc un événement, d’autant que ces « leçons du pouvoir » paraissent près d’un an après une élection présidentielle en tous points inédite, qui a fait voler en éclats le paysage politique. A chaque présidentielle son lot de surprises et de « premières fois » : celle-ci a battu tous les records, qui a vu un sortant pourtant en pleine forme physique ne pas se représenter, les deux principaux partis de gouvernement ne pas accéder au deuxième tour, et un jeune Rastignac sans expérience électorale remporter finalement la mise. Que le personnage principal du drame revienne longuement sur ces cinq années folles et donne son interprétation sur un dénouement si peu banal, voilà qui ne peut laisser indifférent.

Le livre répond à « l’horizon d’attente » qu’un tel ouvrage suscite : des portraits des grands de ce monde ; une plongée « au cœur de l’Etat », au plus près de la décision ; le récit circonstancié des tragédies qui endeuillèrent la nation ; des anecdotes, des confidences. Bref, le récit du pouvoir, de ses servitudes et de ses fastes. Cinq ans de la vie d’un homme aux prises avec l’Histoire qui vous mord la nuque.

Reste que le livre de François Hollande ne saurait s’apparenter à des « Mémoires ». Ce genre littéraire, qui ne manque pas de grandeur, est généralement réservé aux retraités de l’action. Or François Hollande prend bien soin, au cas où certains auraient la tentation de tourner la page, d’indiquer qu’il entend rester en réserve de la République.

Ses leçons sont celles qu’il tire de son expérience, mais aussi et surtout celles qu’il donne

Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’ouvrage se veut d’abord un manuel sur l’art de gouverner. L’utilisation très rocardienne de l’infinitif pour ouvrir chaque chapitre (« Réformer », «Décider », « Choisir », « Réagir », etc.) renforce cette impression. Ainsi, ses leçons sont celles qu’il tire de son expérience, mais aussi et surtout celles qu’il donne. A ses critiques comme à son successeur. A ses « amis » politiques aussi, dont on sent qu’il leur reproche de ne pas suffisamment défendre un bilan dont il s’échine à démontrer qu’il est honorable, voire formidable.

Plaidoyer pro domo. Car en dépit du cours calamiteux (au sens littéral du terme) de son quinquennat, François Hollande tient son œuvre présidentielle en haute estime. Partant de là, et en vertu du vieux principe selon lequel « on n’est jamais mieux servi que par soi-même », il se livre à un plaidoyer pro domo qui laisse peu de place aux regrets et à l’autocritique.

« Je suis prêt à reconnaître mes erreurs. Mais que l’on me permette de revendiquer les réussites » : la concession est ici de pure forme. Car à bien le lire, les « erreurs » évoquées désignent des maladresses de communication ou des problèmes de méthode, jamais de fond.

Les choix politiques sont assumés en bloc, justifiés par un argumentaire sommaire qui fleure bon le « TINA » (There is no alternative). Ainsi les décisions macroéconomiques, qui suscitèrent tant de débats dans son propre camp (et dans son électorat, tant elles s’éloignaient du discours de la campagne de 2012), sont-elles justifiées par la seule « évidence » du moment. Le pays endetté, les entreprises aux faibles marges, la concurrence internationale ? La « politique de l’offre » s’impose. Un taux de chômage important, un marché du travail qu’on estime trop rigide ? La loi El Khomri est nécessaire. Tout juste François Hollande reconnaît-il qu’il est « allé trop vite » ou, ailleurs, qu’il aurait dû « faire voter cette loi au début du mandat »! On a vu mea culpa plus spectaculaire.

Il laisse s’installer un malaise qui naît de l’impression d’un déni qui n’est jamais très loin

Qu’on se comprenne bien : il est humain que l’ancien chef de l’Etat veuille nous convaincre du bien-fondé de sa politique. Mais à trop vouloir en nier certains échecs, à trop esquiver les questionnements légitimes qu’elle souleva, il laisse s’installer un malaise qui naît de l’impression d’un déni qui n’est jamais très loin. Au point qu’on a parfois le sentiment que ce livre dessine les contours d’un « quinquennat rêvé », plus qu’il ne donne de clefs pour comprendre le réel contre lequel il se cogna, et la gauche avec lui.

De cette gauche éprouvée, affaiblie, émiettée, François Hollande ne dit finalement pas grand-chose, sauf qu’elle manifesta à son égard une défiance grandissante qui fut pour lui comme une incompréhensible ingratitude. Cette déception inspire des lignes aussi amères que superficielles. Ainsi la « fronde » parlementaire, issue des rangs de son propre parti, n’est-elle jamais analysée sérieusement. Plutôt que de tenter d’en comprendre les motivations profondes ou les soubassements idéologiques, il préfère n’y voir que l’expression d’un conflit picrocholin organisé par une bande d’individus congénitalement irresponsables, les protestations immatures d’enfants gâtés issus d’une gauche qui, selon un poncif éculé, « ne veut pas gouverner ».

Verticalité. En bon praticien de la Ve République, François Hollande tient pour acquis qu’on ne discute pas les décisions du chef. On savait depuis le fameux livre d’entretiens Un Président ne devrait pas dire ça… qu’il n’échappait pas à l’ivresse du pouvoir personnel. Dans ses « leçons », il s’enorgueillit de l’exercer quasiment sans limite, au point de plaider, lui, l’ancien Premier secrétaire d’un parti traditionnellement parlementariste, pour une présidentialisation du régime. Sur ce point, son successeur, tout en verticalité et en autorité surjouée, semble l’avoir pris au mot.

Lui préfère prendre date. Dans le dernier chapitre de son livre, sobrement intitulé « Espérer », il laisse entrevoir la vision du monde et les grands axes programmatiques sur lesquels, selon lui, fonder une doctrine « social-démocrate » renouvelée. On comprend qu’il entend y prendre sa part.

François Hollande n’a donc renoncé à rien. Comme pour conjurer le sort bien peu clément pour les ex de l’Elysée, comme pour s’en convaincre aussi, le voilà qui claque crânement sa punchline : « Je suis un sortant, pas un perdant ». Il faudra bien plus que cette pirouette pour retrouver la confiance des Français.

Les leçons du pouvoir, par François Hollande, 288 pages, éditions Stock, 22 euros.

Crédit photo © Margot L’Hermite

A retrouver sur le site de l’Opinion

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